L’HUMANISME DE SAINTE GENEVIEVE

Homélies de Monsieur l’Abbé PERRELET

 

Cette série de neuf homélies a été écrite et prononcée par Monsieur l’Abbé Perrelet, Curé de Saint-Etienne-du-Mont, à l’occasion de la neuvaine de Sainte Geneviève du 3 au 11 janvier 1986. Vingt ans après, sa pertinence théologique et politique n’a rien perdu de sa plus vive actualité.

“Si sur le visage du Christ nous pouvons et devons reconnaître le visage du Père empeste, notre humanisme devient christianisme et notre christianisme se fait égocentrique, si bien que nous pouvons également affirmer : pour connaître Dieu, il faut connaître l’homme.”

PAUL VI

Vendredi 3 Janvier 1986: Humanisme et Foi – Les moyens de la Foi

Samedi 4 janvier 1986: Expérience humaine de Geneviève

Lundi 6 Janvier 1986: La conquête de soi-même

Mardi 7 janvier 1986: Bienveillance de Sainte Geneviève

Mercredi 8 Janvier 1986: Les résistances de Sainte Geneviève

Jeudi 9 Janvier 1986: Sens de quelques miracles

Vendredi 10 janvier 1986: Sainte Geneviève et le démon

Samedi 11 janvier 1986: Du visage de l’homme à la connaissance de Dieu


I – HUMANISME et FOI – Les moyens de la FOI

 

 

“Quand le jour est obscur

et que défaille l’homme,

Gardien de la cité,

Voici que tu révèles

Femme connue de DIEU,

Un visage nouveau d’humanité.”

 

Lorsque j’ai annoncé le thème des instructions de cette neuvaine : L’humanisme de Sainte Geneviève” et que j’en ai donné le détail, un certain nombre d’entre vous m’ont dit : ce sera bien difficile. Vous avez pu lire sur les affiches ce qui m’avait inspiré ce projet, une phrase de Paul VI reprise par Jean-Paul II.

Ces deux papes à la suite du concile, dans le contexte de notre vie actuelle, sont de plus en plus – et Jean-Paul Il l’est de plus en plus – soucieux de sauver la grandeur de l’homme. C’est pour répondre à ce souci du Saint-père que j’ai choisi ce sujet. Mais d’une manière plus simple pour le traiter, il me semble que la première strophe de l’homme que nous propose le bréviaire en cette fête de Sainte Geneviève dit la même chose en des termes très clairs:

 

 

“Quand le jour est obscur

Et que défaille l’homme,

Gardien de la cité,

Voici que tu recèles,

Femme connue de DIEU,

Un visage nouveau l’humanité.”

 

 

Pour vous parler aujourd’hui de la foi et de ses rapports avec l’humanisme, je choisirai trois phrases de cet hymne. D’abord: ‘quand le temps se fait sombre’, ensuite : ‘Femme connue de Dieu’ , et enfin : ‘voici que tu recèles un visage nouveau l’humanité’.

‘Quand le temps se fait sombre.’

J’aime bien ce mode progressif : ‘se fait’. Cela ne vient pas tout d’un coup. Au cours de la vie de Sainte Geneviève, effectivement, le temps s’est assombri. Elle naît à une époque où les premières grandes invasions ont été écartées et où une relative tranquillité règne en Occident. Et puis voici que cet Occident ne peut plus faire face à une nouvelle arrivée de Barbares et spécialement â celle des Francs. Très rapidement Childeric occupe le Nord de la Gaule. Arrive ensuite Attila, puis Childeric revient, que les Romains vont essayer d’utiliser, et ensuite son fils Clovis. Au temps où Geneviève est jeune, on circule encore facilement en Gaule. On remarque que la cuisine se fait à l’huile d’olive qui vient du midi. A la fin de sa vie, on verra notre Sainte multiplier miraculeusement l’huile sainte qui manquait. Les routes ne sont plus entretenues et deviennent peu sûres, et les nouveaux occupants font la cuisine avec des graisses animales. La vie matérielle est déstabilisée, mais aussi la vie spirituelle. Deux paganismes s’opposent alors au christianisme : le romain qui subsiste encore – nous avons vu Saint-Augustin nous parler dans “La cité de Dieu” de ces Romains qui reprochaient aux chrétiens d’être responsables des malheurs de Rome pour ne pas avoir honoré les dieux de l’Empire – et le paganisme Germain apporté par les envahisseurs. L’Eglise elle-même est divisée par les grandes hérésies. Clotilde fut élevée à la cour de son oncle, à Genève, parmi les Ariens. Soutenus par les empereurs de Byzance, ceux-ci étaient si nombreux que seuls deux grands évêques osèrent défendre la foi authentique, Athanase d’Alexandrie et Hilaire de Poitiers. Saint Germain d’Auxerre ira deux fois en Grande Bretagne poux combattre l’hérésie de Pélage. La première de ces erreurs prétendait retirer au Christ sa divinité, la seconde niait la nécessité de la grâce pour l’obtention du salut. Il faut éviter les rapprochements artificiels entre les époques. Mais tout de même, nous connaissons aussi une montre de l’insécurité. Il n’est pas de Jour où, dans cette église, nous ne recevions la visite de quelque hurluberlu, homme ou femme, qui nous pose les questions les plus étranges et quelquefois réagit avec une violence inattendue. L’alcoolisme et la drogue envahissent nos cités. L’insécurité intellectuelle aussi assaille nos contemporains. Je ne dirais pas que ceci est vrai pour l’Eglise, car grâce au dernier concile, les chrétiens ont mieux pris conscience de leur foi, ce qui permet d’envisager avec sérénité la question de l’oecuménisme et la retrouvaille des différentes branches de l’Eglise chrétienne. Plus nous allons, plus nous nous rendons compte que catholiques, protestants et orthodoxes, nous sommes nés du même don du Christ, et nous essayons de nous rejoindre pour l’essentiel. Mais à côté de cela, quelle confusion ! Chez les jeunes on s’est contenté d’un catéchisme très court par rapport à leur culture générale. On porte les traditions qu’on a mal comprises et qu’on se transmet mal. Quelles difficultés pouvons-nous avoir, prêtres, à éduquer les jeunes, à les rencontrer et à les soutenir. Quand nous préparons les mariages, nous nous apercevons combien ceux-là mêmes qui se disent chrétiens ont une foi rudimentaire.

“Quand le temps se fait sombre”.

Oui, c’est vrai, le jour se fait sombre actuellement, comme du temps de Geneviève.

Voici que nous 1’invoquons toujours comme “Gardien de la Cité, Femme connue de Dieu”.

Qu’est-ce que cela veut dire ? Cela veut il dire aimée et, encore plus, habitée de Dieu. Le sens profond de ce qui nous est dit ici est déterminé par ce que nous savons de la vie même de Sainte Geneviève. D’abord l’histoire de sa rencontre à Nanterre avec Saint Germain d’Auxerre. Voici que l’évêque aperçoit l’enfant. Il demande son nom aux gens qui sont là, la fait venir vers lui, lui impose les mains et fait appeler ses parents. Lorsqu’ils sont arrivés, il leur déclare : “heureux le jour où votre enfant est née, les anges se sont réjouis au ciel, elle était connue de Dieu dès sa naissance”. Ce texte, écrit peu de temps après la mort de la sainte, fait allusion à d’autres enfants, connus par la Sainte Ecriture : Samuel, Jean-Baptiste, Jésus lui-même. Dès sa naissance, Geneviève est connue de Dieu. Dieu a habité en elle et l’a choisie. Alors qu’elle n’a guère que sept ans, Saint Germain lui demandé d’emblée si elle veut bien consacrer toute sa vie au Seigneur, et la petite, à l’esprit très clair, lui répond oui. Le lendemain le saint évêque lui donnera cette piécette ornée d’une croix qu’il a ramassée à terre, en lui demandant de s’abstenir de toute autre parure, de tout autre bijou qui pourrait orner sa beauté, afin de s’attaquer uniquement aux choses qui ne passent pas. Noms reconnaissons là le signe de cet amour de Dieu qui l’a choisie pour qu’elle s’attache à l’essentiel : quitter tout ce qui serait mondain pour connaître Dieu. Nous y reviendrons au cours de la neuvaine, mais dès maintenant arrêtons-nous sur cette connaissance réciproque. Nous pensons à la déclaration de Jésus : “Je connais mes brebis et mes brebis me connaissent. Dans son âme d’enfant, Geneviève découvre Dieu qui la regarde. Et voici qu’auprès le départ de Saint Germain, la première aventure de Geneviève, son premier miracle va nous montrer que pour elle, l’essentiel est de servir Dieu. C’est jour de fête à Nanterre. Gérontia, sa mère demande à l’enfant de demeurer à la maison pendant qu’elle-même se rendra à l’église. Ici, Geneviève ne nous apparaît pas comme très obéissante, mais ne lisions-nous pas dimanche dernier l’histoire de Jésus restant à Jérusalem à l’insu de ses parents terrestres? Il y a là des questions de vocation. Donc, Geneviève veut absolument aller à l’église et fait une scène à sa mère qui, emportée, la frappe et devient immédiatement aveugle. Quelques mois après, Geneviève réparera ce malheur en faisant son premier miracle. La mère, impatiente, n’avait pas compris l’appel auquel devait répondre sa fille. Le Seigneur ne lui en veut pas, il lui a simplement imposé une pénitence. Geneviève non plus n’en veut pas à sa mère, et elle sait que Dieu est avec elle. Quand sa mère l’envoie puiser de l’eau au puits qui existe encore à Nanterre, elle s’y rend avec un petit seau, proportionné à son âge et à ses forces. Sur l’eau qu’elle a recueillie, elle trace un signe de croix et revient à la maison. La mère s’en frotte les yeux une première fois commence à distinguer les formes des choses. Après une deuxième et une troisième fois, elle recouvre parfaitement la vue. Présence de Dieu dans le coeur de Geneviève, présence de l’amour de Dieu, et toute sa vie sera ainsi.

C’est pourquoi nous pouvons prononcer la troisième phrase de l’hymne : ”Tu révèles un nouveau visage d’humanité”.

C’est déjà l’essentiel de ce qui sera l’humanisme chrétien, auquel nos papes sont aujourd’hui tant attachés alors que l’homme est si abîmé de tous côtés, alors qu’on le réduit à être un objet économique alors que lui-même accepte de se contenter de la technique, une technique qu’il possède fort bien d’ailleurs, mais qui l’abrutit, le dépasse et l’empêche de s’épanouir spirituellement. Le visage nouveau de l’humanité, voici qu’à travers les siècles, il y a toujours eu des saints pour le révéler. Tout près encore de Noël, nous savons que ce visage nous est apparu en plénitude sur la face de Jésus. Depuis qu’existe celui que la science a appelé “l’homo sapiens” l’homme doué d’intelligence, capable de raisonner, capable non seulement de savoir, mais de savoir qu’il sait, cet homme est appelé à connaître et à rejoindre Dieu. Mais cet homme peut aussi accaparer pour lui-même ce privilège de la connaissance, utiliser sa sagesse pour son propre service, ou pour s’adapter lui-même, ou bien se tourner vers l’extérieur de lui-même. Et pourtant chaque fois qu’il croit s’exalter, il se trompe, et il s’abaisse et redescend. Dans l’Ancien Testament, plusieurs images illustrent cette situation : le déluge, la tour de Babel. La technique s’est développée, mais elle porte à l’orgueil et au péché. E1 voici que l’humanité est détruite ou dispersée. “Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles” écrivait Paul Valéry, rapprochant dans un raccourci saisissant les mots civilisation et mortel. L’homme lorsqu’il prétend s’élever tout seul, redescend, retombe lamentablement et retrouve la barbarie. Notre époque a connu de ces retours en arrière, avec les camps de concentration, et ce n’est pas fini ! Dieu cependant nous aime toujours et nous invite à regarder son fils pour y reconnaître le vrai visage de l’humanité. Sur la face de Jésus et de ses saints nous apparaît la dignité qui nous a été donnée. Toute sa vie, Geneviève, par ses actions, par la manière dont elle rencontrait les autres, et quelquefois dont elle savait dire non, défendra ce visage de l’homme qui lui est donné par Dieu et qui doit être le reflet de l’image de Dieu, image qui date de la création quand Dieu fit l’homme à son image et à sa ressemblance, mais qui a été encore embellie quand le Christ est venu parmi nous et nous a conféré sa grâce, lui que Saint Paul a apellé ”le premier né d’un grand nombre de frères”. Oui, Geneviève est là pour nous rappeler à chacun, même au plus pauvre, au plus misérable et aussi au plus lamentablement pécheur, qu’il est appelé à retrouver la ressemblance divine. Elle a passé sa vie à le dire aux Parisiens, aux grands et aux rois eux-mêmes, mais aussi à tous ceux qui souffrent, à tous ceux qui sont dans l’angoisse pour un être cher, à tous ceux sur qui le démon a pris pouvoir. Elle a chassé tant de démons, elle a effacé tant de malheurs intérieurs, elle a guéri tant de maladies mentales aussi. Pensons à cela, et aujourd’hui où nous ouvrons cette neuvaine, regardons vers cette sainte qui nous protège encore. Elle fut un modèle pour ceux qui ont fondé la France, car c’est à cette époque que l’on est passé de La Gaule à la France. Et aujourd’hui, où nous pourrions voir dans notre civilisation des signes de décadence semblables à ceux qui ont précédé la chute de robe, sachons en regardant les Saints, que nous pouvons être sauvés.

 

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II – EXPERIENCE HUMAINE DE GENEVIEVE

 

Dans l’évangile Jésus est appelé : “Celui qui connaît ce qu’il y a dans l’homme. Tout dernièrement encore, l’Eglise, se définissant en face des prétentions des sciences humaines se disait : “experte en humanité”. C’est dans cette ligne de la révélation et parce qu’elle est sainte, que l’expérience humaine de Geneviève nous intéresse tout particulièrement. Expérience humaine relative à elle-même, parce qu’elle se connaît, mais relative aussi à toutes les personnes qu’elle a rencontré au cours de sa longue vie, depuis les plus humbles qu’elle a secourues dans toutes les circonstances de pauvreté, d’abandon ou de maladie, jusqu’aux grands, comme Clovis ou Clotilde, dont elle fut véritablement l’amie. De cette expérience humaine, nous pourrons constater deux aspects, l’un qui est la constatation des faiblesses des hommes, et l’autre qui est la constatation de toute la potentialité qui peut se trouver en un être humain.

Les faiblesses d’abord. Il y a celles qui ne tiennent pas au péché et celles qui tiennent au péché. Parmi celles qui ne tiennent pas au péché, très jeune, Geneviève en elle-même, a éprouvé ses limites. A peine adolescente, elle perd ses parents et connais la peine de la séparation définitive, de l’affection qui vous est enlevée. C’est aussi la solitude. A Lutèce une fois consacrée, elle ne sera pas particulièrement bien considérée par les habitants de la petite cité. Elle éprouvera l’incompréhension, lorsqu’elle veut les détourner de fuir, au moment où Attila menace notre pays. Non seulement elle n’est pas écoutée, mais encore, on parle de la faire disparaître, en la noyant ou en la lapidant. Elle connaîtra certainement les épreuves de 1’âge et les difficultés de l’amitié, chose précieuse, mais combien délicate avec des personnages comme Clovis et Clotilde. Connaissant ces limites qui viennent de la maladie, de la souffrance, de l’incompréhension ou de la séparation, elle sentira encore plus ces limites qui viennent du péché de l’homme. L’orgueil d’abord, parce que c’est peut-être le plus frappant de tous les péchés. N’oublions pas qu’Aetius, le vainqueur d’Attila à Orléans, puis aux Champs Catalauniques, fut assassiné de la propre main de l’empereur Valentinien III dont il projetait de prendre la place. Si elle ne rencontre pas Attila, elle sera du moins fort éprouvée par la terreur que suscite son arrivée en Gaule. De l’autre côté, c’est la couardise, la peur de ces hommes de Lutèce et qui ne pensent qu’à abandonner leur cité et qui plus tard, resteront bien à l’abris de ses remparts alors que Chilpéric puis Clovis l’assiègent de loin. C’est elle qui aura l’audace d’organiser une expédition pour aller chercher du blé pour les affamés. Elle éprouvera toutes ces faiblesses humaines qui viennent du péché, de la peur de vivre ou de se compromettre, ou bien, au contraire, du désir de prendre la part des autres. Faiblesses humaines, faiblesses qui, quelquefois, lorsqu’il s’agit de l’esprit de conquête ou de l’orgueil, prennent l’aspect de grandeur, mais d’une grandeur bien limitée, puisqu’elles arrêtent l’homme à ce qu’il est, à des ambitions de ce monde, alors qu’il est appelé à rejoindre Dieu. C’est alors que se dessine une autre expérience de l’humanité qui, elle, vient de la foi. Geneviève, connaissant les faiblesses humaines, ne sera pas de ceux qui désespèrent de l’homme.

Hier soir, après la célébration en cette Eglise du Secours Catholique, j’ai pris en route l’émission de Bernard Pivot. Sur le plateau discutaient de soi-disant moralistes qui définissaient l’homme uniquement par ses faiblesses ou ses mesquineries. Il est vrai que cela existe, nous venons de le voir, mais on n’a pas le droit de se prétendre moraliste, on n’a même pas le droit de se dire homme, si on s’arrête à ce côté négatif, car nous savons que la vraie vocation de l’être humain, c’est de pouvoir se dépasser. Nous connaissons la réflexion de Guillaumet à Saint-Exupéry : « Ce que j’ai fait, je te le jure, jamais aucune bête ne l’aurait fait ». Dès que se manifeste la naissance de l’humanité apparaissent ces magnifiques peintures et représentations qui ornent les parois des grottes, en France, en Espagne, en Afrique ou en Chine. Plus tard les grandes civilisations d’Egypte ou d’Assyrie, malgré leurs graves déficiences, manifesteront à leur tour cette volonté de dépassement qui est en tout homme. Grâce à la préhistoire et à l’histoire, nous connaissons maintenant cette merveilleuse montée de l’humanité depuis ses origines, montée qui ne va pas sans retour en arrière, mais qui repart toujours. Mais depuis la révélation, il en va tout autrement encore. Il ne s’agit plus simplement pour l’homme de se dépasser, il s’agit, en se dépassant, de trouver ce nouveau visage qui est le visage mime de Dieu qu’il est appelé à rejoindre. C’est là que Geneviève nous apparaît comme une animatrice, qui, au nom de l’Eglise, nous enseigne la véritable morale, qui est morale de liberté parce que de dépassement de soi-même. Il est vrai que nous avons beaucoup de peine au cours d’une vie humaine. Nous avons nos craintes pour ceux que nous aimons, qu’ils soient malades, déçus ou loin de nous. Nous avons nos craintes pour nous mêmes, car nous connaissons aussi l’échec, la maladie, l’inquiétude. Mais est-ce que, à travers tout cela, ne se révèle pas pour nous une proposition d’aller plus loin ? Le mal est fait pour être dépassé.

Toute la vie de Sainte Geneviève nous montre comment en face des obstacles, elle a agi avec confiance. Elle possédait profondément la vertu d’espérance et c’est à cause de cette vertu que, magnifiquement prévenue, elle évita aux Parisiens d’aller se Jeter sous les pas d’Attila. C’est à cause de cette espérance qu’elle eut la patience d’attendre la conversion de Clovis pour le recevoir dans Paris. Elle savait que même ces barbares sont capables d’humanité. Avant Clovis, elle avait agi sur son père Chilpéric. Il ne voulait pas la recevoir et s’était enfermé dans l’île de la Cité. Et voici que, miraculeusement Geneviève arrive jusqu’à lui et obtient de lui la grâce des prisonniers qu’il s’apprêtait à exécuter. Le roi savait bien qu’il ne résisterait pas à la prière de la sainte. Oui, il y a tant de gens qui désespèrent du coeur des autres. Geneviève ne partageait pas cette désespérance, mais au contraire, les difficultés se présentaient à elle comme quelque chose qu’elle avait à vaincre pour porter l’homme plus loin que ce qu’il était déjà. En redonnant du courage aux Parisiens, en redonnant de l’humanité à Chilpéric ou à Clovis, elle les a aidas à devenir plus hommes. Expérience qui ne s’arrête pas à l’aspect négatif de l’homme, mais qui part de ce négatif pour aller plus loin et faire avancer chacun de ceux qu’elle rencontrait. L’expérience du péché aussi et nous devons y insister pour nous-mêmes , car nous sommes tous pécheurs. Le péché lui aussi est fait non pas pour nous abattre – ce qui fut le cas de Judas effondré par son péché – mais pour être dépassé et nous relancer. Saint Augustin disait : « pour qui aime Dieu , tout est source de bien, même le péché ». Et nous chantons dans l’Exultet du Samedi Saint , à propos du premier péché: « Bienheureuse faute, qui nous a valu un tel rédempteur ». Oui, cette faute nous a valu le rédempteur mais elle nous a valu aussi d’avoir à rejoindre le Rédempteur. L’esprit de pénitence nous invite continuellement à nous tourner vers le Christ, à nous laisser transformer par lui, à lui demander son secours quand nous constatons combien peu nous avons progressé. L’attitude de Geneviève, qui, comme Jésus, accueillait tout particulièrement les pécheurs consiste à reconnaître que ce sont les malades et non les bien portants qui ont besoin du médecin. Combien de fois Geneviève a-t-elle, elle aussi, agi en médecin, pour relever les courages de ceux qui avaient peur, de ceux qui étaient lâches, pour relever aussi des vies qui étaient complètement dévoyées et adonnées au péché. Elle leur découvrait en même temps l’espérance d’un destin combien plus beau ! Comme Jésus elle accueillait les pécheurs et les aidait à transformer leur existence. Nous avons à profiter de cette leçon pour ne pas nous accabler nous-mêmes, mais aussi pour ne pas accabler les autres. Nous verrons la semaine prochaine la bienveillance de Sainte Geneviève, mais dès aujourd’hui profitons de son attitude, de son espérance, de ce qu’elle connaissait vraiment l’homme. Quelqu’un me définissait l’autre jour la psychanalyse comme « une maladie qui se prend pour son remède ». Oui, nous en sommes là à l’heure actuelle ! On ne prend pas le mal pour s’y attaquer, mais pour s’y habituer et vivre avec, en trouvant cela normal. Il est vrai qu’il faut en partie s’accepter tel que l’on est, mais pas pour s’installer dans son péché, dans tout ce qui rabaisse, mais pour partir de ce que nous sommes avec l’espoir de nous transformer avec l’aide de la grâce divine. C’est ce que fit Clovis après sa conversion, c’est ce que dû faire Clotilde, une fois veuve, ayant à défendre les droits de ses enfants contre les ambitions de ses beaux-frères. Elle aussi avait appris de Sainte Geneviève l’art de ne pas désespérer, même des pêcheurs les plus endurcis. Alors aujourd’hui, regardons encore vers cette face du Christ qui nous présente la nouvelle figure l’humanité. Espérons partant de tout ce qui est faiblesse en nous, de tout ce qui est indigent, de tout ce qui est pauvreté en nous, nous pouvons arriver à la véritable richesse et à la véritable beauté. Nous savons d’ailleurs que Dieu n’exauce que ceux qui ont besoin de lui et en sont conscients. Si Saint Loup et Saint Germain partaient pour combattre l’hérésie de Pélage, c’est précisément parce que cette hérésie laissait croire à l’homme qu’il n’avait pas de faiblesses et pouvait se passer de la grâce. C’est en reconnaissant nos faiblesses que nous pouvons grandir. Voilà la grande leçon que Geneviève nous donne aujourd’hui par toute son attitude et par toute à sa vie. Parce que comme Jésus, étant sainte, comme l’Eglise qui représente Jésus sur la terre, elle connaissait ce qu’il y dans l’homme.

 

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III – LA CONQUÊTE DE SOI-MÊME

 

Tout être humain est profondément conscient qu’il n’y a pas moyen de progresser ou de se réaliser sans possession de soi-même. Cela est vrai à tous les niveaux et dans toutes les civilisations, dans les philosophies comme dans les religions. Vous connaissez sans doute la devise des stoïciens : “supporte et abstiens-toi”. Et elle était appliquée. Vous avez entendu parler des méthodes de méditation des religions orientales, qui sont faites pour aider l’homme à prendre possession de lui-même, à agir consciemment et à ne pas se laisser emporter par les passions. De nos jours et dans notre civilisation, le sport ou simplement le souci de garder sa silhouette entraînent beaucoup de nos contemporains à accepter bien des privations et par là même, à souffrir. Pourtant lorsque nous abordons le domaine de la foi chrétienne, retrouver ce visage d’homme qui apparaît sur le visage du Christ, nous retrouvons l’Evangile. Je vous rappelle cette scène où les apôtres avaient essayé de guérir un possédé hanté par un démon muet. C’est sans doute le pire des démons, car on ne peut rien faire pour quelqu’un qui se refuse à parler. On ne peut attraper une main qui refuse de se tendre vers celle qui pourrait la sauver. Donc, les apôtres posent la question à Jésus : pourquoi ne pouvons-nous rien faire? Et le maître leur répond : ce genre de démon ne peut se chasser que par la prière et le jeûne.

La véritable possession de soi-même, celle qui fait que nous pouvons être plus forts que toutes nos contradictions internes et que les agressions qui sans cesse nous assaillent de l’extérieur, qui permet à chacun de rester en toute circonstance maître de soi, repose sur ces deux pratiques : la prière et le jeûne. La prière de Sainte Geneviève nous est rapportée par l’auteur de sa vie : “Elle priait, nous dit-il, en regardant le ciel avec une telle attention que l’on croyait que, comme Saint Etienne, le premier martyr, elle voyait le ciel ouvert et le Christ à la droite de Dieu”. Prier en regardant le ciel avec une telle attention ! Voici que dans cette vie de Sainte Geneviève, écrite bien avant que ne fut édifiée notre Eglise, nos deux saints Etienne et Geneviève sont déjà réunis dans un même texte ! La prière, c’est un problème pour nous tous, et nous savons que la première condition de la prière, c’est l’humilité.

Les grands saints, peut-être, arrivent à prier avec attention et je dis peut-être, parce que Je n’en suis pas tellement sûr. Quant à nous, chrétiens ordinaires, la prière est pour nous quelque chose d’extrêmement difficile. En tant que prêtre, j’ai reçu bien des confidences à ce sujet, j’ai également une expérience personnelle et puis j’ai lu les auteurs spirituels et les théologiens. Je me souviens d’un texte de Saint Thomas d’Aquin dans sa Somme Théologique, texte très encourageant, où il nous dit : “lorsqu’une prière est bien commencée, il ne faut pas trop s’inquiéter des distractions qui peuvent venir ensuite, le Seigneur suppléera à nos manques.”.

Encore faut-il, bien sûr, ne pas rechercher les distractions, faut-il suivre ce conseil que donnait le Cardinal Verdier à encore à quelqu’un qui lui faisait part de ses difficultés en ce domaine : “Essayez de transformer vos distractions en prière”. De fait, ce sont souvent nos préoccupations essentielles qui remontent en nous alors que nous essayons de nous recueillir et ces préoccupations il faut aussi savoir les présenter à Dieu. Il y a tout cela dans la prière de Sainte Geneviève. On ne nous dit pas grand chose, mais lorsque nous voyons ce regard intensément dirigé vers le ciel nous y reconnaissons deux choses. D’abord certainement, la première de toutes les prières qui est la prière de louange, parce que lorsqu’on regarde Dieu en se sentant tout petit devant Lui, en un acte d’adoration, on ne peut s’empêcher de rencontrer d’abord sa beauté, sa majesté, mais une majesté qui ne nous abaisse pas du tout, qui nous élève bien au contraire en élevant notre visage vers le sien, sa majesté qui nous invite nous aussi à nous grandir, mais qui nous invite d’abord à Le louer de ce qu’Il est, à Le remercier de cet archange extraordinaire qui, dans la prière, se fait entre nous et Lui. Bien sur, Dieu, dans sa toute puissance et sa toute bonté, nous regarde toujours mais si nous ne prions pas, nous ne nous apercevons pas de ce regard. Si au contraire nous tournons vers Lui nos yeux nous rencontrons son regard, nous saisissons qu’ Il veille sur nous et que, même, Il vit en nous, pour nous transformer et faire croître cette ressemblance qu’il nous a accordée au baptême, ressemblance profonde avec son Fils. La prière de Geneviève est pour nous, non seulement un modèle, mais aussi un très grand espoir. Elle a tant obtenu pendant sa vie terrestre et depuis sa mort, car il ne se passe pas d’année que je ne reçoive d’un côté ou d’un autre un témoignage de son intervention, je n’ose pas dire d’un miracle, c’est un mot dont il ne faut pas abuser, mais il y a tant de petits miracles dans nos vies, tellement de protections reçues, de sentiment aussi de ne plus être seul à nous battre contre le mal, que nous sommes sûrs de l’efficacité de son intervention. Nous savons que sa prière fut, a été, et est toujours exaucée. Ces faits témoignent aussi que nous pouvons, à notre tour, être exaucés dans nos prières, à condition qu’elles ne soient pas trop mesquines. Encore que, si nous étions véritablement des saints le Seigneur ne nous refuserait pas de petits signes d’affection personnelle. On raconte que la petite Thérèse de Lisieux avait demandé de la neige pour le jour de sa profession religieuse et qu’elle fut exaucée. Il y faut beaucoup de foi et d’abandon, de cet abandon qui consiste à se mettre tellement à la disposition de Dieu que nous le laissons absolument opérer en nous. Dieu n’est pas là pour obéir à notre volonté, ce serait de la magie que de croire cela, mais pour que nos deux volontés agissent en concordance dans un amour réciproque. Quelquefois, lorsque nous prions pour des êtres profondément aimés qui sont dans la misère, l’erreur ou la maladie, nous mettons une telle insistance dans notre demande que le Seigneur se laisse toucher par notre désir. La prière de Geneviève nous fait croire à notre prière. Associer notre prière à la sienne, c’est lui assurer une plus grande efficacité.

Mais la seconde disposition que nous demande Jésus pour chasser le démon muet, c’est le jeûne. Bien qu’il soit pratiqué quelquefois pour des raisons purement humaines, sport ou élégance dans la présentation de soi, il exige toujours persévérance et maîtrise de soi, ce qui entraîne une valorisation de l’individu. Chez Geneviève, les motivations sont essentiellement de charité, amour de Dieu et amour du prochain. Cependant, à lire la relation de sa vie, nous sommes sans doute effrayés par les excès qui nous apparaissent. Nous y apprenons que de l’âge de quinze ans jusqu’à celui de cinquante ans, elle n’interrompait le jeûne que deux fois par semaine le dimanche et le jeudi. Encore ne mangeait-elle que de petits pains d’orge, moins chers que les pains de froment, et des fèves qu’elle cuisait dans un chaudron pour trois semaines à la suite. Ce devait être bien insipide, car depuis l’introduction de la pomme de terre, la fève a presque entièrement disparu de notre alimentation. Elle mangeait donc très peu et toujours la même chose. Quand elle eut atteint cinquante ans, les évêques insistèrent pour qu’elle ajoutât un peu à son menu. Elle prit alors un peu de poisson et du lait dans lequel elle trempait son pain d’orge. Nous savons qu’elle passait ses nuits en prière, et qu’elle avait le don des larmes, très apprécié à cette époque, à tel point que le sol était tout mouillé à la place qu’elle occupait. C’est comme si son corps avait voulu disparaître devant son âme, tradition très fréquente dans la tradition de l’Eglise de cette époque. Nous fêtions la semaine dernière Saint Basile qui a écrit une règle des moines d’Orient, cappadociens en particulier. J’ai visité la Cappadoce, au centre de la Turquie actuelle. C’est encore un pays très pauvre où les habitants savent se contenter du strict nécessaire et ne s’en sentent pas plus malheureux. Entre l’esprit de Saïnt Basile et la vie de Sainte Geneviève, nous retrouvons la même préoccupation de rappeler à l’homme que le corps n’est jamais que le support de l’âme, et que si nous donnons trop au corps, l’âme perd de ses moyens. Elle aussi engraisse et devient lourde devant Dieu. De nos jours, des messages répétés de la Vierge Marie, ne cessent de nous demander de jeûner et de prier. De jeûner au pain sec et à l’eau un ou deux jours par semaine. Notre civilisation est tout étonnée par ces demandes car l’habitude de la pénitence a été oubliée. N’oublions pas pourtant que notre évêque de Paris nous invite une fois pendant l’avant et une fois pendant le carême à pratiquer un tel jeûne. Si nous avons le courage d’essayer, nous constatons combien cela est libérateur et nous aide à prendre nos distances vis-à-vis des choses de ce monde. Dans une civilisation qui abuse des biens terrestres, cette attitude devient une réaction nécessaire. Lorsque j’avais au séminaire, on m’avait invité à lire La vie du cardinal Manning, qui fut à la fin du siècle dernier le premier cardinal anglais depuis l’introduction du protestantisme dans ce pays. Plus jeune, il avait été curé d’une paroisse de Londres où les Irlandais catholiques constituaient l’essentiel de ses ouailles, de très braves gens, mais qui avaient la fâcheuse habitude de s’enivrer chaque samedi soir. J’ai alors saisi pourquoi leur pasteur avait renoncé définitivement à toute boisson alcoolisée. Toute sa vie, le cardinal Manning ne but plus que de l’eau. Quand on veut la conversion de ceux qu’on aime, il ne suffit pas de souhaiter cette conversion, il faut la payer. Je pense que si le jeûne de Sainte Geneviève nous paraît excessif, c’est parce qu’elle brûlait de cette volonté de convertir les autres qu’elle aimait. Nous savons qu’elle a correspondu avec Saint Siméon le Stylite, cet original qui passa la plus grande partie de sa vie en haut d’une colonne, sans jamais en descendre. Là aussi nous penserions â l’excès. J’ai visité les ruines imposantes de la basilique que les fidèles ont édifiée, après la mort de ce saint, autour de la colonne où il vécut. L’oeuvre reste grandiose et de toute beauté, témoignage de l’attachement de tout un peuple pour celui qui restait an exemple de sainteté et un espoir de grandeur humaine. Sainte Geneviève, qui a eu le souci de donner à manger à ceux qui étaient affamés, a certainement aussi aidé â se libérer de leurs excès beaucoup qui s’adonnaient aux ripailles de l’époque. Nous savons que beaucoup chez les Romains exagéraient volontiers la consommation de boissons alcoolisées ou de nourritures, souvent très recherchées. L’exemple de cette sainte qui se privait tant et qui restait en même temps très belle les aura frappés. Sur cette beauté de Sainte Geneviève, je me permettrai une petite digression. Nous avons ici au-dessus de son autel la reproduction de la statue qui autrefois se trouvait à l’entrée de la basilique voisine et qui est actuellement au musée du Louvre. J’ai eu récemment l’occasion de la comparer avec l’icône qu’ont fait les orthodoxes de notre sainte, et vous savez sans doute quels soins scrupuleux ils mettent pour réaliser une icône, les enquêtes soigneuses qu’ils font pour retrouver la véritable image de celui ou de celle qu’ils veulent livrer à notre vénération. A cette occasion, j’ai été très frappé par la ressemblance entre notre statue et leur image. Et je pense très sérieusement que lorsque vous regardez cette statue vous y retrouvez le vrai visage de Sainte Geneviève, un visage plein, pas du tout marqué par les macérations. De même qu’au Livre de Daniel, nous lisons que les jeunes Hébreux élevés à la cour de Nabuchodonosor refusaient les nourritures du roi et jeûnaient, tout en restant plus beaux et mieux portants que les autres jeunes gens de la cour, de même Geneviève voit sa beauté exaltée par le jeûne. Il n’y a là rien d’étonnant, puisque, dans ce cas, le visage devient le pur reflet de l’âme, exprimant l’intelligence, la vie spirituelle et l’union à Dieu. Tout ce que Geneviève a fait pour garder la maîtrise d’elle-même, pour être plus forte que les contradictions qu’elle a rencontrées, plus calme que les grands qu’elle a dû affronter ou convaincre, apparaît sur son visage humain, l’embellit et lui donne sa véritable dignité. A une époque où il y a encore beaucoup de paganisme, beaucoup de présence du démon, elle sera la plus forte, parce que, en se maîtrisant elle-même, elle n’a qu’à paraître pour présenter le visage même de Dieu. C’est ainsi que chacun d’entre nous, à sa manière, doit à son tour révéler la présence de Dieu en l’homme, témoigner de ce qu’est véritablement l’homme devenu fils de Dieu.

 

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IV – BIENVEILLANCE de SAINTE GENEVIEVE

 

Je vous ai proposé aujourd’hui dartre attentifs à la bienveillance de Sainte Geneviève. Je souligne ce mot de bienveillance. Il ne s’agit pas d’indulgence, encore moins de permissivité, qui sont des attitudes paresseuses, oublieuses de’ toute adulation, et la révélation du nouveau visage d’humanité demande d’être exigeant. L’évangile de Saint Luc, cet auteur que Dante appelait: “l’écrivain de la mansuétude du Christ”, le seul à nous rapporter l’accueil de la pécheresse ou l’histoire du publicain Zachée, celui qui réunit les trois paraboles de la miséricorde, la drachme perdue, la brebis perdue et le fils perdu et retrouvé est également celui qui demande le plus. Nous y voyons Jésus assurer : “celui qui met la main à la charrue avec moi, et qui regarde en arrière, n’est pas digne de moi”, ou encore répondre: “laisse les morts enterrer les morts” à l’homme qui lui demande, avant de le suivre, d’aller enterrer son père.

La véritable bienveillance se veut adoratrice, et c’est pourquoi elle est exigeante. Nous allons le voir en examinant trois situations de relation où s’est trouvée Sainte Geneviève. Ses relations avec les pauvres, avec les responsables de lutte, et avec les responsables des lieux où elle alla chercher du blé pour nourrir les affamés de Lutèce.

Sa bienveillance avec les pauvres est celle qui se rapproche le plus de l’indulgence. Car les pauvres ont besoin de savoir qu’ils sont aimés et vraiment aimés. Ce n’est pas si facile. Souvent on fait des dons pour se débarrasser la conscience, sans rien donner de soi-même. Geneviève, ce sera la présence et la discussion. Vous vous souvenez de cette histoire. Après avoir rapporté du blé à Lutèce, on fabrique du pain dans le four dont s’occupe Geneviève, et les jeunes filles qui travaillent avec elle s’étonnent de voir disparaître un certain nombre de ces pains. Mais un jour, elles comprennent tout en voyant leur mère faire sa distribution aux plus indigents. Lorsqu’elle va les secourir, Geneviève se cache, il a fallu espionner pour saisir. Elle n’est pas de ces généreux donateurs qui aiment se faire remarquer, qui mettent leur nom sur des listes pour qu’on sache qu’ils ont fait un geste. Comme Jésus, elle agit en cachette, avec un infini respect de ceux qui sont vraiment dans le besoin, souvent par l’indifférence des autres.

Derrière cette bienveillance nous découvrons une authentique affection, spécialement lorsqu’il s’agit d’une maman dont l’enfant est souffrant, aveugle, possédé ou malade. Sensible à la peine des pauvres, elle les comprend par le coeur et voudrait se faire ignorer alors qu’elle a fait le bien. Une autre forme de bienveillance est de croire en l’homme. Lorsque Sainte Geneviève organise son exposition vers Arcis-sur-Aube pour ravitailler la ville en blé, elle s’adresse à la corporation des nautoniers . Associés, ces hommes organisaient la circulation des bateaux sur la Seine. Ils avaient, pour la prospérité de la cité, une extrême importance.

Mais voici qu’à cause du siège fait par Childéric, dont les soldats contrôlent la ville de loin en patrouillant dans toute la région, sortir de Lutèce est alors courir de gros risques. Les bateaux sont chose précieuses et leurs propriétaires ne voudraient pas les voir détruits par les Francs ou par les intempéries. Quand la circulation était sans problèmes, du temps de Saint Loup et de saint Germain, on était heureux de gagner de l’argent en faisant servir les bateaux au transport des gens ou des marchandises. En temps de crise, on préfère les voir à l’abri. Et pourtant, les routes n’étant pas entretenues, les soldats étant prudents sur tous les chemins, le bateau reste le moyen le plus sur de pouvoir passer et de rapporter de grandes quantités de denrées à la fois. Mais si le fleuve présente la route la plus sûre et la plus efficace, il faut tout de même consentir à accepter des risques pour les personnes et pour les bateaux. De fait, à l’aller, l’expédition trouvera le fleuve entravé par un arbre énorme et incontournable qu’il faudra scier, au retour, par suite d’une crue subite de la Seine, le chargement menacera de chavirer. A ces hommes qui habitent et craignent de perdre leurs vies et leurs biens, Geneviève va redonner l’espoir et le sens de l’initiative. On nous dit qu’elle réquisitionna les bateaux. Mais tout est dans la manière de faire. Les Français de ma génération ont connu l’époque de l’occupation nazie. Il y avait alors trois attitudes possibles : on collaborait avec l’ennemi, on attendait que les choses se passent ou on entrait dans la résistance.

Geneviève va faire passer les nautoniers, qui font partie des attentistes, à ceux qui trouvent urgent de travailler au salut de la cité. Sa bienveillance va consister à croire en eux, à les réveiller pour les faire sortir de leur apathie et à les utiliser pour cette expédition absolument nécessaire à la survie de la cité. En voulant abandonner la cité lors de l’invasion d’Attila, les premiers de la ville s’étaient conduits en irresponsables une première fois. En attendant passivement la levée du siège, ils font de même. En leur faisant prendre le sens de leurs responsabilité, Geneviève les relève. Et comme elle-même, par son attitude, révèle ce nouveau visage l’humanité qui se trouve dans le Christ, elle le fera se révéler en eux. Nous oserons voir là l’origine même de notre nation. Comme tous les peuples qui subissent une occupation étrangère, ces Gaulois de Paris avaient perdu le sens de l’initiative. Certes, ils faisaient leur travail avec courage, mais ils restaient des suiveurs. Grâce à Geneviève, ils deviennent capables de penser et d’agir par eux-mêmes. Elle profite de la nécessité pour leur faire découvrir leur personnalité véritable.

C’est une oeuvre d’éducation, née d’un humanisme qui croit en tout être humain pour le mettre à sa véritable place. De ceux qui n’étaient que des exécutants, Geneviève a fait des citoyens responsables.

Elle va aussi réveiller ceux vers qui elle est partie chercher le blé. Il y avait une loi de l’empire romain qui autorisait ceux qui étaient chargés de la vie des autres à faire des réquisitions de vivres. Il est certain que Geneviève, dont la famille jouissait d’une certaine autorité en Gaule, qui, de surcroît était certainement accompagnée de responsables de Lutèce a réquisitionné ce blé. Elle le fera cependant avec discrétion, ne voulant pas dépouiller les autres â son profit ou au profit des siens.

Partie pour Arcis sur-Aube, elle ira jusqu’à Troyes pour trouver un complément de ravitaillement. Discrète dans sa demande, elle le sera encore plus dans son attitude de relations. Elle vient en demanderesse et en amie, non pas pour imposer une volonté de réquisition. Arrivée à Arcis-sur-Aube, elle demande à voir le responsable, le tribun de la cité. Cet homme avait une femme malade, alitée depuis quatre ans pour cause de paralysie. Geneviève se rend auprès d’elle et la guérit. La femme se lève et reprend ses occupations, elle qui ne pouvait plus rien faire depuis quatre ans. Geneviève n’impose pas son droit, elle vient en amie, pour un échange de charité, dans une compréhension réciproque des besoins des uns et des autres. Tout véritable humanisme est ainsi compréhension et découverte du besoin de l’autre. En arrivant à Troyes, elle va aussi commencer par distribuer ses bienfaits en guérissant deux aveugles, un enfant et un homme qui avait été frappé pour avoir travaillé le dimanche. On trouve très souvent à cette époque ce genre de punition du ciel. Sans doute fallait-il alors faire prendre à ceux qui n’étaient chrétiens que de fraîche date, l’habitude de respecter le jour du Seigneur. La punition ne sera d’ailleurs que temporaire dans ce cas. Elle guérira encore ce jour-là le fils du sous-diacre de Troyes, un enfant qui était pris de fièvre froide depuis quelques mois. En échange du don matériel qu’elle demande, elle apporte un bien spirituel, et non seulement une guérison, ce qui est déjà une bonne chose, mais plus profondément un signe d’affection, essentielle au nouveau visage d’humanité qui nous a été enseigné par le Christ.

La charité est essentielle à l’homme chrétien, à l’homme complet, à celui que Dieu a toujours voulu. Par sa bienveillance envers les pauvres, envers les responsables qui doivent agir ou qui doivent se priver et amener les leurs à se priver, Geneviève a su faire naître ce nouveau visage d’humanité. Elle enseigne à tous ce qu’a apporté le christianisme aux hommes, qu’ils doivent prendre leurs responsabilités mais aussi savoir partager et se sentir amis de Dieu. Les épreuves ne sont jamais que des passages qu’il faut savoir traverser pour trouver le sens de l’effort, du partage, de la véritable charité et, à travers cela, la véritable charité.

 

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V – Les RESISTANCES de SAINTE GENEVIEVE

 

La science et la foi s’accordent pour nous dire que l’histoire a un sens, ce qui a une double signification, d’abord que l’histoire signifie quelque chose et ensuite qu’elle est un progrès, une avancée continuelle. Nous savons par la science que dans notre univers, la matière a d’abord existé, puis la vie végétale, la vie animale, et qu’enfin est apparue l’intelligence humaine. Et nous savons par la loi que cette intelligence humaine est appelé à se développer et â s’ouvrir à la grâce Jusqu’à ce que le visage humain reflète le visage de son Seigneur. Telle est la révélation que nous a faite Jésus et que nous transmet l’Eglise par son enseignement aussi bien que par l’exemple de la vie des saints. Depuis que l’intelligence et la raison sont apparues sur notre terre, il dépend de l’homme que l’histoire continue à se développer ou régresse. Nous avons vu sous nos yeux des exemples de régression, et cela pourrait reprendre dans la mesure oû la fok disparais. Nous avons montré hier comment Geneviève, grâce à sa bienveillance, grâce au oui qu’elle disait à la vie, avait contribué à ce développement du visage divin sur le visage humain, comment elle avait contribué au développement de l’histoire dans son sens positif, intelligent et créatif. Nous voudrions voir aujourd’hui comment elle a contribué à ce développement de l’histoire et du visage humain par les non qu’elle a su dire car, justement, le propre de l’intelligence et du coeur c’est de savoir choisir, de savoir répondre oui quand il le faut, de façon abondante et généreuse, mais aussi dans certaines circonstances de savoir s’opposer et dire non. Je voudrais premièrement vous exposer trois circonstances dans lesquelles Geneviève a su dire non, et ensuite vous montrer comment cela a contribué à la création même de l’histoire, de l’histoire de notre pays. Elle a su dire non à sa propre faiblesse, à la peur des hommes, à la force de l’impression.

Sa propre faiblesse.

Monseigneur Coloni nous rappelait dimanche dernier que les débuts de Sainte Geneviève à Paris ne furent pas des plus faciles. Pour diverses raisons qui tenaient sans doute â sa situation sociale qui la mettait trop en vue mais peut-être aussi à sa façon de vivre trop exemplaire interprétée comme une autre façon de se mettre en vedette et de faire la leçon aux autres elle rencontra une sourde, mais sérieuse opposition. Pourtant Geneviève ne cherchait pas à plaire, et c’est pourquoi elle a maintenu sa ligne de conduite. Continuant â prier et à se mortifier, elle a peu à peu entraîné quelques autres femmes après elle. Elles se réunissaient dans le baptistère de Lutèce, petit bâtiment qui ne contenait qu’une vingtaine de places. A ces femmes, si peu nombreuses elle a donné la force de résister à leurs maris qui voulaient abandonner leur cité. Elle les a ainsi formées en leur donnant ce courage qui constitue véritablement l’être humain. Dans cet effort pour trouver sa vraie placer elle a été aidée par le second passage de Saint Germain et par la visite du diacre d’Auxerrey après la mort à Ravennes de son évêque. Le Seigneur, qui n’abandonne pas ses saints, a su intervenir à temps. Mais en ces deux occasions, Sainte Geneviève a dû tenir jusqu’au dernier moment, en face de la faiblesse des hommes et de leur tentation de céder à la facilité. Sa discipline faisait peur à ceux qui s’étaient laissa bercer par la facilité de vivre que donnait la paix romaine. A cette facilité, Geneviève a su dire non, par son exemple et ses exhortations, en entraînant derrière elle celles qui semblaient les plus faibles : les femmes. Les forts au contraire, ceux qui seraient appelés à se battre, ceux qui sont renseignés sur les vrais dangers et les responsables habituels, ne songent qu’à fuir et à se mettre à l’abri. C’est au péril de sa vie que Geneviève insiste pour les retenir, puisqu’on était décidé à noyer ou à lapider cette “fausse prophétesse”. Sauvée au dernier moment par l’intervention du diacre de Saint Germain qui lui apporte des présents en son nom, elle s’est toujours maintenue au-dessus de la peur. Mais c’est aussi à partir de ce moment qu’elle prendra, à Lutèce, son influence définitive.

La peur des hommes.

Son courage personnel nous apparaît encore au retour de son expédition à Arcis-sur-Aube. Les bateaux étaient lourdement chargés, sans doute avec des amphores qui se déportent facilement quand le chargement est bousculé. On était vraisemblablement au printemps et le fleuve était en crue par suite des pluies et de la fonte des neiges. Il fallait quelquefois donner de brusques coups de rames pour diriger les bateaux. Geneviève se trouvait avec des prêtres de Paris sur le premier bateau. Le chargement déporté, l’esquif déséquilibré se penche et commence à prendre l’eau. Les prêtres prennent peur. C’est alors que la sainte intervient et que, sur sa prière, le bateau se redresse. La peur exorcisée, le prêtre entonne le cantique de Moïse pour rendre grâce à Dieu.

Enfin dernière résistance de Geneviève: son dernier non, c’est à la force brutale. Lorsque Childéric est à peu près le seul maître en Gaule, et que les Romains, après l’assassinat d’Aëtius, s’en sont remis à lui de faire régner un minimum d’ordre, il en profite pour se conduire en maître. Nous avons vu que Geneviève était allée le trouver en un palais qu’il avait à Lutèce pour obtenir de lui la grâce de prisonniers. Plus tard il s’éloigne de la petite ville, mais ses soldats patrouillent autour, pillent et empêchent les vivres d’arriver dans l’agglomération. Quand Clovis succède à son père, Geneviève résiste encore, et il faudra l’intervention de Saint Rémi de Reims, après le baptême du nouveau roi, pour que celui-ci soit reçu dans ce qui allait devenir la capitale de la France. Geneviève le reçoit parce qu’il s’est converti, ce qui représente non seulement une adhésion de l’esprit au christianisme, mais un changement de vie. Ce roi, intelligent, mais retors, pour qui la franchise et le pardon ne valaient pas la ruse et la violence, va peu à peu changer son échelle de valeurs. Cela est devenu si vrai que dans notre langue actuelle l’adjectif ”franc” exprime l’idée de loyauté. Aidé par sa femme Clotilde, par l’amitié et la confiance de notre sainte, il va désormais se servir de la force et de la ruse pour vaincre ses démons et ceux de son peuple. Maintenant que ses soldats se sont convertis avec lui il prétend qu’ils changent de moeurs et servent le vrai Dieu, qui est un Dieu de charité.

La force de l’impression.

Les résistances de Sainte Geneviève ont aidé ceux qui étaient des êtres primitifs et brutaux à devenir des hommes maîtres d’eux-mêmes, capables de justice et de bonté. Ainsi se révèle une nouvelle figure d’humanité. Les conséquences vont être incalculables. Dans cet Occident en décomposition, abandonné de l’Empire de Byzance, où règnent tous les désordres, au moins dans cette Gaule qui est au bout du monde, va apparaître un royaume où l’ordre et la paix auront à nouveau droit de cité. Les gendarmes, dont Sainte Geneviève est la patronne, nous rappelaient dimanche dernier qu’ils ont quelquefois à se servir de la force, mais qu’ils doivent le faire le moins possible et toujours avec discrétion et au service de la paix et de la justice. Avec Clovis, la force qui servait surtout à satisfaire la volonté de puissance et la fantaisie des rois et des grands, va se mettre au service de l’ordre et du bien. Certes, tout n’est pas parfait de son temps et, après sa mort, il faudra encore bien des années pour que nos régions retrouvent leur équilibre. Dans l’histoire des rois francs, seul Dagobert a laissé un bon souvenir, et encore est-il bien loin d’être un saint. Il avait pourtant lui aussi un sens aigu de la justice et de la répartition équitable des biens de son royaume entre ses différents sujets. A travers les heurs et les malheurs de l’époque mérovingienne, qui s’étendit sur près de trois siècles, se préparera l’unification de l’Occident dont Charlemagne sera le réalisateur. On peut ainsi dire que les résistances de Geneviève, aussi bien que sa bienveillance ou ses bontés vis-à-vis de ses contemporains sont à l’origine de la véritable histoire de l’accident chrétien. Alors que le désordre continuera de régner en Germanie, qu’il s’installera progressivement en Italie, c’est en France que, d’une certaine manière, la civilisation va prendre un nouveau départ. On a dit que l’Eglise, entre l’époque de Saint Augustin et celle de Sainte Geneviève, était passée aux barbares. A regarder les choses lassez loin, c’est vrai. Mais il faut dire aussi que l’empire romain s’était totalement laissé aller. Il s’était écroulé de l’intérieur avant de subir l’assaut des étrangers. Les véritables forces de l’empire se trouvaient à Byzance, les cours de Rome, puis de Ravennes n’avaient maintenu qu’un semblant d’ordre et se trouvaient rongées par des rivalités intérieures. Alors, ceux qui vont rétablir l’ordre, permettre que tout reparte, et même que naisse une nouvelle civilisation, ce sont quelques uns de ces barbares. Sous la protection des rois francs, certaines abbayes vont se créer, se développer. On y conservera les manuscrits, on y étudiera le droit. L’essentiel de la culture romaine sera sauvé, la culture phrygienne s’y développera. Parce que Sainte Geneviève a su dire oui quand il le fallait pour montrer le visage bienveillant de Dieu, parce qu’elle a su dire non pour rappeler à l’homme sa profonde ambiguïté et que partagé entre le bien et le mal il devait refuser le mal, l’histoire a repris son cours. L’empire romain qui s’écroulait était encore partagé entre le paganisme et la nouvelle foi, la civilisation qui va naître sera uniquement chrétienne. Elle ne sera pas parfaite. Les barbares avaient beaucoup de vitalité non contrôlée, ils étaient possédas par toutes sortes de tentations, de brulalité, de possession, d’orgueil et aussi de sensualité. Ils devront apprendre à dominer un fort tempérament. Ils y seront aidés par ceux qui prient. Combien de villages ou de lieux-dits portent encore en France le nom d’un saint fondateur ou d’un ermite qui a vécu là ! Les saints autant que les guerriers ou les administrateurs au cours de ce qu’on commence à appeler le “Moyen-Age” ont été à l’origine de la France moderne.

On vient de rééditer la vie des Pères d’Occident de Grégoire de Tours. Combien d’évêques, à l’exemple de Saint Germain ou de Saint Loup, ont donné exemple et courage aux humbles en ces temps difficiles où tout était à recommencer.

L’histoire a recommencé son cours positif, parce qu’il y a eu cet exemple d’une femme, discrète, mais solide et constante dans ce qu’elle voulait et qui toujours a su dire oui à ce qui venait de Dieu et non à ce qui venait de l’esprit du mal.

 

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VI – SENS de QUELQUES MIRACLES

 

Ce que nous avons vu de Sainte Geneviève depuis lundi, la façon dont nous avons examiné qu’elle révélait un nouveau visage d’humanité, nous l’a surtout fait apparaître comme adoratrice. Par son exigence autant que par sa bonté, elle recèle sur son propre visage la ressemblance divine. Mais nous savons que Dieu lui-même, à travers toute l’histoire de l’Ancien Testament nous apparaît comme le premier des pédagogues, qui ne cesse d’élever son peuple et qui depuis le Nouveau Testament se propose d’élever l’humanité tout entière grâce à son Eglise. Pour quelqu’un qui connaissait mal le sens de l’Eglise, le sujet que nous allons aborder aujourd’hui, celui de quelques miracles de Geneviève, pourrait paraître démobilisateur, parce que, pour la plupart des gens, le miracle est une sorte de facilité que Dieu accorde à ses privilégiés, sinon au hasard. Il faut être chrétien et avoir souvent médité sur les miracles, du Nouveau comme de l’Ancien Testament, pour comprendre que ce fait extraordinaire est aussi de la part du Seigneur un acte d’éducation, un signe qu’Il nous fait, pour nous aider à monter vers Lui.

Nous allons voir aujourd’hui trois sortes de miracles accomplis par Sainte Geneviève.

La première sorte concerne les guérisons d’aveugles. Il y en a au moins trois dans sa vie comme il y en a au moins deux dans les Evangiles. Les seconds ce sont les miracles accomplis pour réparer des péchés ou des attitudes de péchés pour ouvrir des personnes qui avaient fauté. Parmi les guérisons d’aveugles, il y en a deux qui sont aussi de cette catégorie. Les troisièmes, ce sont les miracles sur la nature, encore plus étrange, mais qui ont aussi leur signification.

La première bénéficiaire, c’est la propre mère de notre sainte. Elle avait péché en frappant son enfant par énervement et en refusant de reconnaître sa vocation. Il y a cet enfant qu’elle guérit en ne pouvant pas supporter la peine de sa mère, il y a cet ouvrier dont nous parlions avant-hier qui avait perdu la vue pour avoir travaillé le dimanche. Traditionnellement, les guérisons sont effectives, bien sûr, concrètes, mais au-delà de ce qui est constatable, elles ont une signification, elles veulent dire que l’on passe d’un monde où l’humanité ne reconnaissait pas son Dieu à un monde où elle le découvre. En effet, quelle que soit la puissance de l’intelligence et la profondeur de la réflexion, les hommes se fabriquent volontiers de faux dieux, produits de leur imagination et de leurs passions. Cela est évident pour le paganisme, mais vrai pour le judaïsme et le christianisme. Les prophètes de l’Ancien Testament ont passé leur vie à ramener leur peuple à la fidélité et le rêve des évêques dans l’Eglise est essentiellement de sauvegarder la pureté de la doctrine. Nous connaissons le mot de Vauvenargues attribué souvent à Voltaire : “Dieu a fait l’homme à son image et l’homme le Lui a bien rendu”.

La plaisanterie est facile, un peu méchante et irrespectueuse, mais reste une remarque opportune. Chacun de nous, s’il n’y prend garde, se fait de Dieu une image personnelle. C’est inévitable jusqu’à un certain point mais lorsque nous oublions et la bonté et les exigences de Dieu, nous ne sommes plus qu’en face d’une idole que nous nous sommes fabriqué. Nous savons la réflexion populaire: “Qu’est-ce que j’aï fait au Bon Dieu pour qu’il m’arrive tous ces malheurs!”. Elle exprime très bien l’oubli de la bienveillance absolue du véritable Dieu, celui de la révélation. Relativement aux exigences du Seigneur je me souviendrai toujours de la réflexion d’un curé auvergnat me disant d’une de ses paroissiennes : “pour elle, Dieu serait beaucoup plus le Bon Dieu s’il n’imposait aucun commandement”. Oui, toute notre vie, nous aurons à dessiller nos yeux dans la foi pour ne pas dévier. Il est à remarquer que les différentes crises de la foi par lesquelles nous passons tout au long de notre vie ne sont la plupart du temps que des occasions de purification. Il est remarquable que dans cette perspective, deux des guérisons d’aveugles opérées par Sainte Geneviève soient apparues comme la cessation d’une punition ou d’un avertissement. Après que la cécité soit apparue comme un rappel des exigences divines, la bonté se manifeste par la guérison.

La deuxième catégorie de miracles sur lesquels Je voudrais attirer votre attention concerne ceux qui ont été occasionnés par une attitude pécheresse. Nous venons de voir le cas de l’homme devenu aveugle après avoir travaillé le dimanche, pour la même raison, un autre avait senti ses mains se paralyser. Geneviève met fin à ces épreuves, mais elles ont souligné avec quel sérieux nous devons recevoir les commandements de Dieu. La leçon est importante à notre époque où nous construisons volontiers la morale sur la pratique générale: est bien ou au moins non répréhensible, ce que tout le monde fait. Ce n’est plus la volonté de Dieu, mais la coutume, ce Sont les habitudes bonnes ou mauvaises, qui font la loi, ce qui permettait à Pascal d’écrire: “Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au delà”. On en arrive ainsi à une relativisation de toutes choses, à la destruction de toute obligation, et personne ne sait plus où est le bien et où est le mal. C’est la perte des consciences. En soulignant l’importance de la loi divine en même temps que la bonté du créateur, Geneviève sauve l’essentiel de l’homme, car celui-ci est perdu lorsqu’il ne connaît plus la loi. Dieu n’est pas un démagogue qui, pour acquérir notre affection, nous permettrait de faire n’importe quoi, il veut que nous exercions notre volonté pour apprendre à servir et à aimer.

Un autre miracle de Sainte Geneviève nous apporte le même témoignage. Quand elle eut soixante ans, elle entrepris d’aller à Tours vénérer le tombeau de Saint-Martin. Elle devait aller à pieds jusqu’à Orléans pour y prendre le bateau descendre la Loire. En passant, elle se rendait à la tombe de Saint Aignan, l’évêque qui, avec Aëtius, avait provoqué la défaite d’Attila. Sa renommée avait précédé notre sainte. Un homme se présente à elle parmi la foule à qui elle demande de pardonner à un de ses serviteurs qui avait commis une faute grave. Cet homme refuse, et de retour chez lui, tombe gravement malade. Le lendemain, il revient trouver Geneviève, et nous dit de façon très curieuse l’auteur de la vie de Sainte Geneviève: “Il se jeta vers elle avec une bouche comme celle d’un auroch”. L’auroch est une sorte de boeuf sauvage que l’on trouvait encore à cette époque dans les forêts gauloises. Et la vierge lui dit alors: “Eh bien, tu as compris maintenant qu’il fallait pardonner, Dieu te pardonne mais toi aussi pardonne”. Sans avoir positivement péché, cet homme avait pourtant manqué à une foi essentielle de l’Ancien Testament et encore plus de l’Evangile, où Jésus nous apprend à prier en disant au Père: “pardonne nous nos offenses comme nous aussi nous pardonnons”. Là aussi le miracle a valeur éducative. Jamais les saints, pas plus que Jésus, n’ont opéré du merveilleux gratuit. Leurs actions révèlent ce visage de Dieu qui doit peu à peu se refléter sur le visage de l’homme. Le sérieux de ces faits est le signe d’un amour qui nous invite à répondre par un amour semblable.

La troisième catégorie de miracles que je voudrais évoquer regarde ceux où interviennent les aliments naturels. Deux concernent le fleuve de la Seine. Nous avons évoqué hier celui du retour d’Arcis-sur-Aube, quand sa prière redressa le bateau qui allait chavirer. Dans un autre cas, elle se trouvait seule avec une autre personne, mais sur une bien plus petite barque. Les eaux en furie menaçaient une fois encore l’esquif qui s’en tira à la prière de la Sainte. Un des miracles les plus fameux est la multiplication de l’huile sainte. Dans son commentaire, le Père Dubois nous le présente comme typique de l’époque. Il se place à la fin de la vie de Geneviève, à un moment de trouble extrême. Par suite de l’impossibilité de communiquer, l’huile, qui venait de l’olive, ne peut arriver de la méditerranée à Paris. Il semble aussi qu’à ce moment, il n’y ait pas eu d’évêque à Paris, le siège épiscopal aurait été vacant. Geneviève va donc chercher la burette d’huile dont elle se servait pour guérir les malades, coutume répandue à l’époque, puisqu’un pape d’abord a écrit qu’il “était normal que les laïcs se servent d’huile bénite pour soigner”. Mais la fiole est vide. Alors Geneviève s’allonge sur le sol pour supplier le Seigneur et quand elle se relève la fiole est pleine. L’auteur de la vie de Sainte Geneviève nous dit qu’il a vu cette fiole et qu’elle contenait encore de l’huile multipliée par la sainte. Nous avons là un miracle caractéristique et bien attesté.

Nous savons que Jésus a lui aussi affirmé son pouvoir sur les éléments. Il a apaisé la tempête et provoqué la pêche miraculeuse. Ce sont des évènements du même genre. Mais quelle en est la signification ?

Eh bien, si nous analysons ces faits avec un esprit chrétien, nous y trouvons encore un enseignement. J’en parlerai dans l’homélie de dimanche prochain à propos du baptême de Jésus. Depuis que Jésus est venu parmi nous, lui que Saint Paul appele le nouvel Adam, l’homme et la nature sont devenus amis. C’est là que se trouve la véritable écologie, non pas la politique où celle qui s’oppose à tout progrès et voudrait nous tirer en arrière, mais celle qui rétablit l’équilibre entre l’homme et la nature. Nous lisons de semblables miracles dans la vie de Saint François d’Assise et de plus forts encore. Rappelez-vous François parlant aux oiseaux ou bien apaisant et civilisant le loup de Gubbio. Entre l’homme, qui possède l’intelligence et la grâce depuis son baptême, et qui pour cela doit présider, et les êtres de la création, même d’ordre purement matériel, il y a une sorte de sympathie qui s’établit.

Voilà un sujet de réflexion tout particulièrement intéressant pour notre temps. Nous avons, et c’est là que les écologistes ont parfaitement raison, pris l’habitue de traiter la nature en la méprisant, en la tyrannisant, sans nous inquiéter de ses lois profondes, j’oserais dire de ses habitudes. Il y aurait sans doute une autre manière d’agir, à laquelle les saints nous font rêver, ce serait de créer une telle sympathie avec la nature qu’en sorte elle obéisse à l’homme. Certains paysans, certains éleveurs ont approché de cet art. De même que bien des saints, Geneviève, François d’Assise, ou tel moine du désert à qui chaque jour un corbeau apportait sa nourriture. Notons que cela donne aussi à l’homme son visage divin. Lorsqu’au lieu de nous conduire en tyrans, nous essayons, non pas de faire de la magie, ce qui serait une autre forme de tyrannie, mais d’arriver à cette sympathie profonde que seuls les saints peuvent obtenir, il y a entre la nature et l’homme une sorte de reconnaissance fraternelle. C’est comme si la sagesse de Dieu qui est dans les coeurs, l’Esprit Saint qui travaille le monde, établissaient un courant qui passe et nous permet d’obtenir des résultats inattendus et absolument extraordinaires. C est là que l’homme éprouve son véritable pouvoir qui est de mettre de l’ordre dans les choses de ce monde, non pas simplement en retrouvant des lois mécaniques, mais en rétablissant un amour qui n’aurait jamais dû cesser d’exister. Là se trouve sans doute le plus grand enseignement des miracles de Sainte Geneviève, celui qui nous montre le mieux jusqu’où le nouveau visage de l’homme peut agir. Il n’est pas question d’un aspect purement extérieur, mais d’une disposition de l’âme qui devrait changer certains d’entre nous, mais aussi la nature entière autour de nous, nature qui devrait être au service de l’homme , non par force, mais par sympathie . Là encore, Geneviève nous forme et nous enseigne . Elle nous apporte surtout et premièrement un enseignement élémentaire, c’est que le miracle n’est pas une chose extraordinaire au sens où nous l’entendons habituellement, un acte extraordinaire parce que gratuit et magique. Profondément éducatif, le miracle n’est pas une facilitê sans signification, mais une exigence de grandeur et de dignité. C’est là encore que notre sainte patronne nous pousse en avant et nous invite à ressembler de plus en plus à son Seigneur qui est notre Seigneur.

 

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VII – SAINTE GENEVIEVE et le DEMON

 

En essayant de trouver ce visage nouveau de l’humanité que nous révèle Sainte Geneviève, comme nous le dit l’hymne que nous chantons pour sa fête, nous avons vu que ce visage s’exprimait par un homme libre et donc responsable et nous avons vu aussi comment elle éduquait ses contemporains à la responsabilité, ce qui nous invite aussi à devenir pleinement responsables et pleinement libres. Mais vous savez que cette liberté nous l’avons acquise grâce à la venue du Fils de Dieu parmi nous et grâce au combat qu’Il a mené contre l’esprit du mal. Lorsque nous ouvrons les trois évangiles synoptiques: Matthieu, Marc et lui, nous voyons que tout de suite après son baptême Jésus a été conduit au désert par l’Esprit et que là, il fut tente par Satan. Le quatrième évangile ne nous raconte pas cette scène de la tentation, du moins pas à ce moment là, mais dans son prologue, il nous présente la venue du Verbe dans le monde, comme un vaste combat entre la lumière et les ténèbres. Et ce même évangile appelle l’esprit du mal: “le prince de ce monde”. La vie de Jésus se présente donc comme une libération de l’homme par une lutte à mort entre le Fils de Dieu et le prince des ténèbres. Et nous savons comment cette lutte se termine. Le mal semble triompher quand Jésus meurt sur la croix, mais trois jours après, la résurrection consacre définitivement la victoire du Fils de Dieu. Nous avons beaucoup oublié cette présence du mal à notre époque. La dernière oeuvre de Paul Valéry, qui fut un de nos plus grands écrivains, est une pièce de théâtre qui fut publiée après sa mort. Elle s’intitule: “Mon Faust”. L’auteur nous y montre Méphisto, le prince du mal venant trouver le docteur Faust pour lui dire : “Parle de moi, qu’on me connaisse, on ma complètement oublié”. Il est vrai qu’à notre époque on hésite beaucoup à parler du démon, on nous dit que le coeur de l’homme est divisé et c’est vraie que nous portons tous le poids de l’hérédité, le poids des pressions sociales et celui des défauts que nous avons acquis au cours de notre éducation. Cela, nous dit-on, suffit bien à expliquer les tentations. Il y a deux ans, je me suis rendu à Ars avec quelques uns de nos paroissiennes en pèlerinage dans ce village où vécut ce prêtre qui fut un curé admirable et qui eut beaucoup à lutter contre le démon. Et là, il nous fut expliqué que ce “grappin” dont il parlait si souvent, était pour lui une manière de désigner les ennuis qu’il avait pu avoir dans la vie. Même dans les églises on ne parle plus du démon, par peur de paraître ridicule. C’est oublier la vie de Jésus, c’est oublier Sa croix, et de quel prix Il a payé notre libération. C’est oublier aussi la tradition de l’Eglise. Dans la vie de Geneviève, le démon se manifeste assez souvent, soit en s’attaquant directement à elle, soit surtout par l’intermédiaire des possédés et des situations qui se présentent à elle. Ce qui est curieux, c’est que dans ce second cas, le démon, lorsqu’il doit partir, laisse toujours derrière lui une odeur extrêmement pénible. Vis-à-vis de ses luttes personnelles avec le démon, vous savez que les iconographistes de Geneviève, que ce soit sur le vitrail que nous avons dans la salle du cloître, ou que ce soit sur la statue qui se trouve au-dessus de son autel, la représentant habituellement avec un cierge à la main ; un petit démon, avec un soufflet, essaie d’éteindre ce cierge pendant aucun ange avec un briquet, le rallume. Là aussi, nous retrouvons l’esprit des évangiles. Jésus, nous dit Saint Jean, est la lumière du monde. Saint Matthieu nous montre les mages conduits par une étoile, et Saint Luc les bergers entourés d’une grande lumière. La lumière a toujours été le symbole de la vérité divine et de la libération des hommes. La nuit, on a peur. Le phénomène du cierge éteint et rallumé se produit plusieurs fois dans la vie de Sainte Geneviève, mais spécialement en une occasion où elle allait avec quelques compagnes passer la nuit en prière dans la basilique de Saint Denis qu’elle avait fait construire. Elles allaient donc à pied, et la nuit était très sombre quand tous les cierges s’éteignent à la fois. Elles se trouvent dans les ténèbres et s’affolent, quand le cierge de Geneviève se rallume et leur redonne confiance. Le démon nous apparaît ici comme dans l’évangile en tant que prince des ténèbres, et la lumière est une libération qui indique la présence de Dieu.

Lorsqu’il s’agit des possédés ou des circonstances, il y trois faits au moins.

Une première fois à Paris, dix énergumènes, c’est-à-dire dix possédés viennent au devant d’elle et se mettent à pousser de grands cris. Lorsque Geneviève les interpelle, il se passe un phénomène assez courant chez les mystiques aussi bien que chez les possédés, ils s’élèvent de terre et restent suspendus en l’air comme s’ils n’étaient plus soumis à la loi de la pesanteur. Elle parvient à les faire revenir vers elle et trace sur certains d’entre eux un signe de croix, puis les envoie tous â la basilique Saint Denis où elle leur donne rendez-vous. Partie deux heures après eux, elle les rejoint en route. Sans doute les malheureux étaient-ils entravés par les démons, qui n’étant pas encore sortis d’eux, essaient par tous les moyens de les empêcher d’arriver jusqu’à la basilique, car ils ne veulent pas abandonner leur proie. Pénétrée dans l’église, Geneviève commence par se prosterner longuement et prier. Les démons ne se chassent que par la prière et le jeûne. Elle se relève et trace à nouveau sur certains d’entre eux un signe de croix et les possédés sont définitivement libérés.

Une autre fois ce sera plutôt une question de circonstance. Lorsque Geneviève remonte la Seine avec les nautoniers pour se rendre à Arcis-sur-Aube d’où elle devait rapporter du blé pour Lutèce, elle trouve le fleuve entravé par un arbre immense qui empêche les bateaux de passer. Elle arrête alors les bateaux assez en deçà pour qu’ils ne risquent pas de chavirer et envoie des hommes scier cet arbre qui part dans le courant. Mais, nous dit l’histoire, sortirent alors d’affreux démons qui laissèrent une odeur si épouvantable que les gens qui étaient sur les barques en furent encore incommodés pendant deux heures.

Une troisième circonstance se passe à Tours: lors de son pèlerinage auprès de saint Martin. La scène se passe probablement le quatorze juillet, date anniversaire de l’ordination épiscopale du saint évêque. Au cours de la célébration , un chantre se met tout à coup à hurler n’importe quoi , fait des gestes dans tous les sens et se réfugie auprès de Sainte Geneviève. Elle qui comprend la situation, s’efforce de chasser le démon qui demande à sortir par l’oeil de sa victime. Elle ne lui permet pas et il sort d’une façon beaucoup plus naturelle en répandant une odeur épouvantable dans la basilique. Cette présence du démon dans la vie de notre sainte patronne et ce pouvoir de les chasser qu’elle dût à ses jeûnes et à ses prières doit nous faire réfléchir sur la présence des démons dans notre vie et nous inviter à nous libérer de leur influence.

La première condition pour nous libérer d’eux, c’est de reconnaître leur existence, et de ne pas suivre la tentation de facilité du monde dans lequel nous vivons et qui les ignore, de ne pas croire que l’homme est le seul esprit qui ait été créé par Dieu et de reconnaître que nous sommes à la fois protégés par les bons anges et attaqués par les démons. Mais cela ne doit pas nous faire peur. A ce propos je ferai deux réflexions. La première part d’une image de Saint Augustin. Il compare le démon à un chien attaché. S’il nous mord, c’est que nous nous sommes approchés trop près. Nous ne l’avons pas pris au sérieux et nous avons voulu jouer avec lui. La deuxième est une réflexion que m’a rapporté Monseigneur Saudreau actuellement évêque du Havre. Nous étions alors jeunes prêtres et nous occupions ensemble de l’aumônerie d’un camp scout. Pendant un orage, alors que nous étions réfugiés sous une même tente, il me rapporta une histoire arrivée à un de ses oncles. Celui-ci était aumônier d’une école de religieuses du Bon Pasteur, qui accueillaient des jeunes filles ayant eu de grosses difficultés. Une des pensionnaires avait été victime d’une possession diabolique. Plusieurs séances d’exorcisme avaient amélioré la situation, mais ce n’est que le Père de Tonquédec, exorciste national, qui réussit à obtenir la guérison définitive. Et la conclusion de l’abbê Saudreau, après cette expérience exceptionnelle, était que le démon est un menteur. Il n’est pas très fort, mais il essaie toujours de se donner plus d’importance qu’il n’a, de nous bluffer et de nous impressionner.

Comme Geneviève, nous devons nous sentir extrêmement libres en face de lui, extrêmement libres en face des tentations. De fait nous succombons la plupart du temps, parce que nous avons joué avec la tentation, parce que nous ne l’avons pas prise au sérieux. Combien de nos contemporains qui ne croient pas au démon se laissent aller à faire des expériences malsaines! Depuis les spectacles ou les livres qui salissent l’imagination ou démobilisent la raison, jusqu’aux beuveries ou à la drogue, encore bien plus dangereuses, tout est proposé dans notre monde pour détourner notre attention des risques que nous courons. Sous prétexte de faire des expériences, nous ne nous méfions plus assez, et souvent il est trop tard pour revenir sur de mauvaises habitudes ou des passions. Il est vrai que nous avons connu de ces provocateurs qui exagéraient et épouvantaient les jeunes. Ils avaient gravement tort car il ne faut pas craindre la puissance du démon mais la première condition pour ne pas le craindre, est d’être prévenu de sa présence et de sa nocivité. Si nous approchons trop près, il mordra et nous entraînera avec lui.

La seconde condition, c’est de le reconnaître comme menteur. Nous en avons l’expérience, la plupart de nos tentations se présentent à nous sous un aspect agréable. Toute tentation est d’abord un mirage par lequel nous nous laissons attirer. Mais si nous succombons, nous sommes toujours profondément déçus, nous n’avons pas eu du tout ce que nous attendions. Jamais le péché n’a satisfait personne, en tout cas pas pour longtemps. Nous avons succombé à un mensonge qui nous était présenté, et après nous avons un goût amer. Mais alors le démon va encore Jouer sur notre imagination. Il va grossir les conséquences de notre péchés nous mettre en état de remords, nous faire désespérer de nous-mêmes. Dans la contrition, nous regrettons le péché parce que nous avons manqué à l’amour, dans le remords, on s’en veut â soi-même parce que on est tombé au-dessous de ce qu’on croyait être, tel Judas qui va se pendre, parce qu’il a oublié l’amour de Dieu. Saint Pierre, au contraire, après avoir renié son maître, n’a pas continué à se laisser faire par le démon. Conscient d’avoir été trompé il est revenu à celui qui ne déçoit pas. Il savait que son péché était grand, maïs il savait aussi, comme nous le dit si souvent Saint Jean dans ses épîtres, que Dieu est plus grand que notre péché. Le démon ment deux fois, pour nous faire tomber dans la tentation, et ensuite, pour grossir les conséquences de notre chute.

Alors aujourd’hui, nous regardons la sérénité courageuse de Geneviève en face des démons. Elle les a rencontrés dans sa vie, soit qu’ils aient essayé de contrarier ses desseins, soit qu’ils aient essayé de lui faire peur, en éteignant ses lumières dans la nuit, soit qu’ils aient pris possession de pauvres êtres humains. Si ces cas de possession sont devenus rares dans nos régions, le témoignage de nombreux missionnaires nous montre qu’ils sont encore nombreux dans les pays restés longtemps païens. Vous connaissez peut-être le livre du Père Dupeyrat: “Vingt cinq ans chez les Papous”. Ce missionnaire nous raconte en détail ses démêlés avec les sorciers locaux. De même au séminaire, un confrère du Viet Nam m’a raconté des histoires d’envoûtement vraiment très curieuses. Je pourrais citer encore d’autres témoins qui ont touché du doigt la présence du démon sur notre terre.

Si Geneviève nous rappelle que cet esprit du mal est toujours à l’oeuvre parmi nous, elle nous dit aussi que nous pouvons toujours être plus forts que lui. Le nouveau visage que l’humanité reçoit de Jésus, c’est bien le visage de la liberté, liberté qui ne fera que grandir après notre baptême, parce que tant que nous serons en ce monde, notre liberté ne sera que relative, mais c’est justement notre grandeur que de passer progressivement à une liberté de plus en plus grande, presque totale. Les saints y sont arrivés. Sainte Geneviève en particulier. Elle est pour nous un exemple extraordinaire, et en même temps un espoir pour nous et aussi pour les hommes de notre époque.

 

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VIII – Du VISAGE de l’homme à la CONNAISSANCE de DIEU

 

Voici que tu révèles,

Femme connue de Dieu,

Un visage nouveau d’humanité.

 

C’est ce visage qu’ensemble nous avons cherché, et j’avais donné pour titre â cette neuvaine: l’humanisme de Sainte Geneviève.

A travers elle nous avons si bien exploré cette révélation que nous pouvons désormais retourner la situation, et reprenant le texte de Paul VI qui a inspiré nos recherches, apprendre à retrouver le visage de Dieu sur le visage de l’homme. C’est extrêmement important pour inspirer les valeurs qui nous font vivre. Nous allons voir comment Geneviève nous l’a enseigné par sa manière de faire. L’auteur de sa vie nous la montre en prière, comme si elle voyait, comme Etienne, le ciel ouvert et Jésus à la droite du Père. En dehors de cela, nous l’avons vu vivre sa vie de tous les jours parmi ses contemporains de toute classe sociale, de toutes responsabilités et aussi de plus ou moins grande foi. Quel est donc cet homme sur le visage de qui Geneviève retrouve le visage de son Dieu? Quel est cet homme qui nous enseigne le chemin de Dieu? Eh bien, c’est d’abord l’homme inséré dans l’histoire, ensuite, l’homme inscrit dans l’Eglise.

L’homme inséré dans l’histoire. Nous trouvons ici un enseignement constant de la Sainte Ecriture. Lorsque Moïse nous est présenté comme intrigué par la vision du buisson ardent, nous le voyons qui s’approche. Se rendant compte d’une présence, il interroge: “Qui es-tu?”. Et une voix lui répond: “Je suis le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob”. Pascal, qui termina sa vie sur cette montagne Sainte Geneviève où nous sommes, et qui est enterré dans cette église, avait été frappé de cette réponse, et il opposait ce Dieu de la révélation au Dieu des philosophes. Un autre texte de l’Ecriture nous offre le même enseignement. Il est encore plus connu, c’est la proclamation des Béatitudes: “Bienheureux les pauvres, bienheureux ceux qui pleurent, bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice”. La pauvreté, le désir de la justice, les larmes, n’est-ce pas à la fois quelque chose de profondément humain et, malheureusement, de quotidien? C’est en fréquentant ces hommes rencontrés tous les Jours que Sainte Geneviève va trouver le visage de Dieu. Saint Jean nous dit dans sa première épître: “Celui qui dit qu’il aime Dieu et qui n’aime pas son prochain est un menteur. Comment peux-tu aimer Dieu que tu ne vois pas si tu n’aimes pas ton prochain que tu vois. Geneviève a aimé très sérieusement son prochain. Dans les peurs humaines, j’allais presque dire dans les lâchetés humaines, elle a rencontré l’humilité de Dieu. Ce Dieu qui nous parle par la fête de Noël, nous parle aussi par la fête que nous allons célébrer demain, celle du baptême de Notre Seigneur.

Jésus se met au rang des pécheurs. Auparavant il a abandonné toutes ses prérogatives pour venir jusqu’à nous. Il connaîtra nos fatigues, nos peines, et la mort ignominieuse. Oui, le véritable Dieu, c’est celui d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, celui des bienheureux et des saints. C’est aussi celui de ceux qui sont d’abord malheureux, de ceux qui pleurent, de ceux qui sont soumis à l’injustice, de ceux qui ont tout juste de quoi vivre. Le vrai Dieu, non pas celui que fabriquent les philosophes, qui en définitive n’est qu’une idole, création de imagination, comme l’idole était oeuvre de mains humaines, le vrai Dieu, c’est effectivement sur le visage de nos frères, en partageant leur vie, leurs travaux et leurs soucis que nous le découvrons. J’évoquais Moïse tout à l’heure. Rappelons-nous combien il eut de mal à conduire son peuple, à le faire sortir d’Egypte et une fois dans le désert, à lui faire accepter sa situation de liberté, mais aussi de pauvreté! E1 pourtant, là aussi, c’est à travers ce peuple concret, égoïste et ingrat, que Moïse a trouvé l’image de son Dieu, et qu’en fondant une nation, il a commencé à porter au monde le témoignage de sa bienveillance divine. Tel est l’enseignement de l’Ecriture, Dieu n’est pas dans les nuageux, il est dans la vie de tous les jours, et ceux qui ont reproché à l’Eglise d’être l’opium du peuple, ce sont eux qui se sont enfermés dans leur idéologie et qui mènent l’homme à sa perte, en ayant détourné leurs regards du visage du Christ qui apparaît en tout homme. Je lisais la nuit dernière un texte d’un homme qui a commencé d’être célèbre parmi les économistes russes de la révolution, Serge Boulgakov. Frappé par l’inhumanité des doctrines de ses amis, il est revenu à sa foi primitive, pour être un des plus grands théologiens de l’orthodoxie récente. Le texte que je lisais était bouleversant, car il faisait comprendre comment cet homme s’était retrouvé lui-même non pas à cause des théories, mais à cause du concret, à travers la rencontre quotidienne des humbles, des malheureux, des souffrants. Oui, vraiment, c’est l’homme dans sa pauvreté qui nous conduit à Dieu, l’homme inséré dans l’histoire.

Mais je dois ajouter aussi, l’homme inséré dans l’Eglise.

Tel est le lieu où les chrétiens ont mission de révéler le visage de Dieu. Nous terminerons cette neuvaine en chantant un cantique à la Vierge Marie, car elle est aussi l’image de l’Eglise. Elle est, selon l’appellation habituelle “l’épouse du Saint Esprit”, celle qui, par l’opération du Saint Esprit, est devenue mère, non seulement de Jésus, mais de tous les croyants. Rappelons-nous la scène, au pied de la croix, où Jésus présente Saint Jean à Marie en lui disant: “Femme, voici ton Fils”, puis dit à Saint Jean: “Homme, voici ta mère”. Nous sommes tous les fils de Marie comme nous sommes tous les fils de l’Eglise. Pourquoi? Parce que c’est dans l’Eglise que nous trouvons l’esprit Saint, que nous trouvons la vraie lumière, que nous avons appris le premier catéchisme, que nous avons continué, si nous sommes courageux, à chercher le vrai Dieu. Mais en dehors de l’Eglise et de ses sacrements, on ne peut guère avoir accès à cette connaissance. Il y a une expérience qui a été celle de Saint Pierre, et que nous découvrons lorsque nous lisons attentivement les évangiles et les Actes des Apôtres. Pierre, au début, rencontre Jésus et le prend pour un maître en Israël, un rabbi comme on disait. ce sont Jean et André qui le lui ont signalé, et avec eux, il suit. Puis peu à peu, il va être étonné par Jésus, par son autorité et sa puissance, en particulier, lors des grands miracles de la tempête apaisée et de la pêche miraculeuse. Il se jette alors aux pieds de Jésus et lui dit: “Eloigne-toi de moi qui suis un pécheur”. Sans doute n’avait-il pas de fautes très grosses, mais saisi par la majesté divine, il éprouve toute la différence qu’il pouvait y avoir entre son maître et lui. Un peu plus tard, après le discours sur le pain de vie, alors que les foules ont abandonné Jésus et qu’il pose aussi à ses apôtres la question: “Vous aussi, allez-vous me quitter?”, au nom de tous Pierre répond: “A qui irions-nous, tu as les paroles de la vie éternelle”. Puis ce sera la confession de Césarée: “Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant”. Pierre a très bien saisi la véritable personnalité de Jésus. Il lui restait pourtant encore un progrès à faire. Quand après la résurrection et l’ascension, il deviendra le chef de l’Eglise, il découvrira que Jésus est désormais présent dans les siens, et c’est sur le visage de ses frères dans la foi qu’il retrouvera désormais son maître. De même, c’est sur le visage des autres chrétiens que nous sommes appelés à reconnaître Dieu, même malgré nos imperfections, car aucun d’entre nous n’est parfait. Mais nous pouvons espérer que chacun d’entre nous cherche Dieu, malgré ses erreurs et quelquefois ses entêtements dans la sottise.

Il y a également un épisode de la vie de Geneviève que Je voudrais souligner, car il éclaire notre propos. C’est le fait que Geneviève ait attendu que Clovis soit chrétien pour l’accueillir dans sa ville. On pourrait, de façon superficielle, juger qu’il surgissait d’une attitude politique. Plus superficiellement encore, on pourrait prétendre que par une sorte de bigoterie, elle ne voulait pas d’un païen dans une ville de chrétiens. De tels jugements font fi et de la pensée chrétienne profonde et de ce qui fut toujours l’attitude de Sainte Geneviève. Deux évêques ont particulièrement eu de l’influence dans sa vie, Saint Germain, de son enfance au début de son âge mur et Saint Rémi, dans sa vieillesse. Rémi n’a guère que vingt cinq ans quand Geneviève en a plus de soixante dix. Il a pourtant déjà suffisamment d’influence pour la déterminer à accueillir Clovis. Et ces deux époques ont au plus haut point le sens de l’Eglise que chacun défendra selon les circonstances, le premier contre l’hérésie de Pélage, le second contre le désordre barbare. Geneviève qui, par sa correspondance avec Siméon le Stylite, connaît aussi l’Eglise d’Orient, est une femme d’action, mais aussi de pensée. Elle est sensible à ce que le christianisme porte en lui de pouvoir civilisateur. Elle pense qu’à son époque un homme politique n’est vraiment valable que s’il a pénétré le sens de l’Eglise et qu’il en fait partie. C’est dans l’Eglise que nous recevons dans sa totalité le Saint Esprit, c’est dans l’Eglise que le Saint Esprit exerce en nous sa fécondité, comme il l’a exercée à propos de la Vierge Marie, à qui l’ange Gabriel avait annoncé: “L’esprit Saint te couvrira de son ombre et tu seras mère”. C’est dans la mesure où, par l’Eglise et en accord avec l’Eglise, nous laissons l’Esprit agir en nous, que s’épanouit notre fécondité chrétienne. En dehors de cela, il n’y a que pur activisme , ce que l’on semble construire s’évanouit encore plus vite qu’il n’est apparu. Certains d’entre vous ont sans doute lu un livre qui eut beaucoup de succès au début de ce siècle. Il s’agit du livre de Dom Chautard, Abbé de Sept Fons, qui s’intitule: “L’âme de tout apostolat”. Ce trappiste y expose sa conviction que toujours la prière prime l’action. Certes, les oeuvres de charité de même que l’engagement des chrétiens et leurs prises de responsabilité sont nécessaires, mais sans la prière et l’union à l’Esprit Saint on risque de se dépenser en pure perte. C’est ainsi que Genevieve, que nous avons vue si prudente aux problèmes de ce monde, si entreprenante et si active a toujours agi.

Ainsi nous terminons cette neuvaine en apprenant à retrouver Dieu sur le visage de nos frères, sur le visage des hommes dont nous partageons la vie, qui luttent et qui souffrent avec nous, et qui sans doute sont pécheurs avec nous. Mais ensemble nous devons sortir de nos fautes, nous redresser pour que le visage de Dieu apparaisse de mieux en mieux sur le visage des chrétiens. Il nous arrive entre nous, d’être un peu mesquins, mais, justement Geneviève nous invite à sortir de nos petitesses, à nous élever ensembles et à cultiver ensemble la présence de l’Esprit Saint. C’est alors que nous serons fidèles à notre sainte patronne et que, bien plus sérieusement encore, nous continuerons à notre époque la mission qu’elle a exercé en son temps, à un moment si important de l’histoire. Mais de nos jours où l’humanité réessaye à faire son unité, où d’un bout de la terre à l’autre, on peut en un instant savoir ce qui se passe. Monde extraordinaire qu’est le nôtre, monde en formation, mais où souvent le futile et l’accessoire remportent sur le sérieux et l’essentiel, où l’on souligne bien plus souvent le mal, guerres, bruits de guerres, crimes et catastrophes, plus que les vraies conquêtes.

Essayons de connaître le prix d’un visage humain, à la suite de Sainte Geneviève, pour retrouver Dieu et pour communiquer, là où nous sommes, là on nous pouvons le faire, ce visage de Dieu qui se révèle sur le visage de notre frère.

 

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