LE MYSTÈRE DE SAINTE GENEVIÈVE
Sonnets de A.-P. GARNIER en trois dizains
Nous trouvons ici une vie de sainte Geneviève sous forme de poème épque. Organisé en trois dizains, cet ensemble de superbes sonnets de GARNIER ont été écrit pendant la grande guerre et édité en 1916. Il s’agit donc pour le lecteur de tenir compte du contexte politique et militaire qui, bien entendu, rappelle celui de sainte Geneviève au cinquième siècle pendant les grandes invasions. Par ailleurs, l’auteur fait de Geneviève une gardienne de troupeaux, tradition posthume qui est apparu disons, au moyen-âge, à l’image de sainte Jeanne d’Arc, alors qu’en réalité, elle était d’une famille patricienne romanisée.
AU CURIEUX
Si j’ai chanté, rêveur et solitaire,
Si haute Dame en si pauvre Mystère
A cette heure où sachant vaincre ou mourir
Tout bon français aux armes doit courir,
C’est par tendresse et devoir salutaire.
Aux jours de gloire où le coeur voit souffrir
Et pour leur sol tant de soldats périr,
J’encours un blâme auprès de l’homme austère,
Si j’ai chanté.
Mais contre moi qu’il n’aille point sévir
Par ignorance ou reproche sectaire!
Rimer, c’est ma façon de bien servir,
Et, sans honneur de gloire militaire,
J’ai fait aussi ma tâche pour ma terre,
Si j’ai chanté.
AU LECTEUR
Au moment d’exalter la Dame d’excellence,
Patronne de Paris, son grand coeur et sa foi,
Emu, je me recueille et me sens plein d’émoi,
Hésitant dès le seuil à rompre le silence.
J’aurais préféré vivre au temps d’allégeance,
Poète ou simple artiste à la cour d’un bon roi,
Chanter la renommée ou sculpter le beffroi,
Modeste en mon orgueil, riche en mon indulgence.
Malgré plume rebelle ou ciseau trop naïf,
Pour offrir à la Sainte un monument votif,
J’eusse écrit le poème ou travaillé la pierre,
Ou, féal artisan, en l’ombre du portail,
Par gloire ou piété, dressé châsse ou vitrail,
Et mis toute mon âme au ciel de la verrière.
LE TEMPLE SUR LA RIVIERE
Flos sudans rorem
descendit ad urbis
honorem
Un temps de misère inquiète,
Un puits où le Ciel se reflète
Malgré l’incendie et le sang,
Des cris, des fontaines de larmes,
La paix, douce après tant d’alarmes,
La fleur, la rosée et l’encens.
LA BARQUE
Par ciel venteux et froid, la barque de mystère
Portant Loup et Germain, évêques très pieux,
Descend la noble Seine au contour sinueux.
Le saint but de leur course est la Bretagne austère.
Ils accostent ce soir aux berges de Nanterre.
Quel pilote les mène au désert de ces lieux?
Le peuple accourt bavard, flâneur et curieux.
Et le passeur les aide à mettre pied à terre.
Avant de s’engager en la nuit des chemins,
Sur la foule accourue ils étendent les mains
En des gestes d’apôtre aux sables d’une grève.
Germain, le doux prélat, sur la route aperçoit
Une enfant à genoux la plus pure qui soit:
Il demande son nom. Tous ondit: Geneviève!
II
LA VISION
Le soleil agonise aux vitraux. L’encensoir
Exhaleun lent parfum à l’heure de vigile.
Le feu brûle éternel en sa lampe d’argile.
Lors Germain prie et dit, esclave du devoir
“Seigneur, déjà ma vie incline vers le soir.
Pour prêcher aux païens le verbe d’évangile
Je me sens peu disert et ne suis plus agile,
Si je m’arrête ici, c’est par votre pouvoir.”
Des enfants dans la nef ont chanté la prière.
Les saints semblent réver dans leurs niches de pierre,
Et le coeur du vieux prêtre est tout transi d’émoi.
Il comprend que le Ciel, au dessein toujours sage,
Veut choisir par ses soins la vierge du village,
Pour la gloire d’un peuple et l’oeuvre de foi.
III
LA MEDAILLE
De jour et de vesprée, il n’a soucis ni cure
Que l’enfant n’ai promis de se vouer à Dieu.
A la messe de l’aube, au sortir du saint lieu
Quand le divin esprit rayonne et transfigure,
Et consacre en un coeur l’abandon qu’il procure,
Elle lui fit promesse en engageant son voeu.
Puis comme ils s’en allaient, au moment de l’adieu
L’Evêque se penchant, ramasse bon augure,
Sur le chemin pierreux et rude où l’herbe croît,
Une obscure médaille à l’image de croix.
Il la suspend en grâce au cou de Geneviève.
“Oncq ne porte, dit-il, bijoux d’or ou d’argent,
Car Dieu, dans sa bonté, prête au plus indigent,
Et plus on s’humilie et plus Il vous élève.”
IV
LES PARENTS
Voici l’amer reproche et le méchant propos!
Du voeu de son Enfant, la Mère courroucée
Dès le seuil du logis l’a vertement tancée,
Et la veut renvoyer, bergère, à son troupeau.
A maint riche bourgeois, marchand de tout repos,
Elle la voit déjà promise et fiancée.
Aussi ne souffrant point qu’on ait d’autre pensée
A-t-elle houspillé l’Evêque, ou peu s’en faut.
Oyant en sa maison si rude fâcherie,
Le Père sans mot dire, en son âme marrie,
De pleurer tout son saoûl au soir ne se défend.
“A Dieu point ne seras ou bien je te renie,”
Et, ce disant, avec humeur et vilenie,
La Mère, dépitée, a souffleté l’Enfant.
V
L’AVEUGLE
A la splendeur du jour, le châtiment celeste
Clôt les yeux de la mère et l’abat de stupeur.
Geneviève frappée en sa morne douleur,
Tant le doigt de Dieu semble en ceci manifeste.
L’aveugle porte en soi le regret de son geste,
Et sa coulpe disant, le repentir au coeur,
Accepte sans récri le mal en sa rigueur,
Et plus rien qu’un profond apaisement lui reste.
Gravissant un calvaire en des jours anxieux,
Elle voit mieux son âme en la nuit de ses yeux.
Parfois sa face est triste et de larmes baignée.
Plus ne verra les siens, le ciel, les bois et l’eau
Et vers le soir tombant la blancheur du troupeau…
Pourtant en sa demeure elle vit résignée.
VI
LE PUITS
“Va quérir l’eau du puits, j’y veux laver mes yeux.”
L’ordre est enjoint, mais doux, dit avec l’espérance
Que le vouloir de Dieu peut guérir la souffrance,
Si de l’antique foi le coeur n’est oublieux.
Geneviève se hâte et vers le puits très vieux
Marche en tremblant, le coeur lourd de peine et d’errance,
Se penche à la margelle et regarde en navrance,
A l’aveugle songeant, le mirage des cieux.
Comme cheveux au vent, sur l’eau le lierre traîne,
Le seau descendant grince et choît à bout de chaîne,
Et Geneviève en pleurs fait un signe de croix.
La mère baigne alors ses yeux au flot de vie,
Et s’exclame, d’un fol et saint transport ravie:
“La nuit s’en va, le jour grandit, la splendeur croît.”
VII
LA MAISON
Sous l’humble toit de chaume, en louable harmonie,
Genevève et les siens vivent dévotement.
Le pain blanc de la huche est fait de pur froment,
Et d’honnête pécune ils ont bourse garnie.
Au pauvre du chemin loin de faire avanie,
Ils donnent chaque soir pitance et logement,
Si bien que le Dieu juste épargnant le tourment
Marque du sceau divin leur demeure bénie.
Geneviève paît les moutons au bord de l’eau.
Rêve-t-elle déjà d’un plus vaste troupeau,
N’ayant la peur du loup, ni l’effroi de l’épreuve?
Une fleur parmi l’herbe, un orme au vent bruissant,
Les prés, les bois, tout parle à son coeur frémissant,
De l’enclos paternel jusqu’aux berges du fleuve.
VIII
LE VOILE
A carillons sonnants, les cloches du moutier,
Ont, dès l’aube, éveillé les demeures anciennes,
Et vers le bourg dévale un flot de paroissiennes,
Prenant à la traverse au hasard du sentier.
On entend sur la rive un cri de batelier:
Les nautes vont descendre en nefs patriciennes;
Des vierges tout en blanc par les chemins s’en viennent.
Une fileuse chante en ouvrant l’atelier.
Tous ignorent pourtant la grâce de cette heure,
La présence divine en l’obscure demeure,
Tant il y a, ce jour, de simplesse en tel lieu.
Le front humide encore de pleurs et de rosée,
Geneviève reçoit le voile d’épousée
Qui la ravit au monde et la consacre à Dieu.
IX
LUTECE
Geneviève a grand deuil en son âme, et tristesse.
Ses bons parents sont morts en dorment au champ clos.
Elle quitte Nanterre et se confie aux flots,
Qui la portent un soir aux berges de Lutèce.
Au pied des hautes tours, était-ce la crainte, était-ce
Pressentiment funeste, elle éclate en sanglots
Au seul vu des remparts dressés sur les ilots,
Témoins durs et hautains de guerre et de rudesse.
Elle est des jours durant, défaillante en son corps,
Inerte, sans parole, et proche de la mort;
Et ceux qui l’aiment bien en souffre gène et transe.
Mais le mal inconnu point ne l’accable en vain.
Son esprit éclairé saisit mieux le divin.
Elle atteint jusqu’à Dieu par vertu de souffrance.
X
LES REGRETS
A l’heure de prière où s’endort la Cité,
Comme lasse d’effort en son manteau de brume,
Quand le feu du veilleur au vieux donjon s’allume
Geneviève se sent le coeur plus attristé.
Elle revoit les jours enfuis, les soirs d’été,
L’eau qui coule, le val en fleurs, le toit qui fume
Et songe avec regret et poignante amertume
A son troupeau sans guide de l’enclos déserté.
Il est des lieux sacrés pour les âmes d’élite
Où tout être s’émeut, se libère et médite
Et d’où l’esprit impur semble à jamais banni.
Là-bas le fleuve coule en des flots de lumière,
Et gardien vigilant, le vieux temple de pierre
A l’homme périssable a parlé d’infini.
DEUXIÈME DIZAIN
Mulier timens Dominum
custodit civitatem.
Le peuple angoissé qui chancelle
Ne veut et n’agit que par Celle
Qui détient sagesse et vertu.
Le geste est encore sur nos têtes,
Qui sauve du choc des tempêtes
Le vaisseau par les flots battus.
L’EXODE
Jour de soleil sur les moissons et sur la Ville…
Mais voici que troublant la joie et le labeur
Court parmi tous les gens une sourde rumeur:
Les hordes d’Attila menacent notre asile.
Auchemins encombrés, sur le fleuve docile,
Portant la femme enceinte ou l’aïeul qui se meurt,
Au gré de la charrette, au gré du bon rameur,
Maints seigneurs et vilains sont partis à la file.
Peu à peu se sont tus les travaux, les métiers,
Les appels des vendeurs, les refrains des potiers…
Et le soleil décline en de sinistres flammes.
Des pillards sans vergogne et des gens sans aveu
A voix basse ont parlé de pillage et de feu…
Soir d’angoisse sur les Cités et sur les Ames!
XII
LA CONFIANCE
En si brutal orage et si cruel émoi,
Geneviève, sans peur, parcourt la ville entière.
Elle porte à dessein sourire et mine altière,
Ne voulant ajouter encore au désarroi.
Elle combat les bruits, les vains propos, l’effroi,
Aux femmes conseillant le jeûne et la prère,
Car déjà sont gardés les ponts sur la rivière
Et les veilleurs armés occupent maint endroit.
Pour parler à la foule, elle trouve en son âme
Des voix d’amour, des cris de foi, des mots de flamme,
Et le calme d’antan renaît de toute part.
Pourtant, la nuit venue, on dit qu’un homme d’armes
Etant de guet, au pied des tours, l’a vue en larmes
Et qui priait, debout sur le plus haut rempart.
XIII
LE FLEAU
Que le meilleur accueil au porteur de nouvelles
Soit fait! Las et poudreux, il arrrive des bords,
De la Marne. Il a vu les barbares retors,
Grossiers, sans foi, tels qu’en la guerre ils se révèlent.
Sordides, demi-nus, à toute loi rebelles,
Ils montent leurs chevaux sans étriers ni mors,
Pillent les temples saints et détroussent les morts,
Avides de courir vers les cités nouvelles.
Ce soldat les a vus, dans l’ivresse des cris,
Tout prêts à se ruer en bande sur Paris,
Mais ils ont tout à coup laché pied, tourné bride,
Le peuple exulte alors au miracle nouveau,
Puisque sans coup férir il échappe au fléau:
Le barbare est vaincu par la vierge timide.
XIV
LE SOUVENIR
Un soir, la foule lâche a crié trahison.
Geneviève a senti le vol fourbe des pierres.
Des soldats l’ont heurtée avec poings et lanières
Pour la jeter au fleuve ou la mettre en prison.
Mais le visage calme et l’âme en oraison,
Offrant son lent martyre et ses heures dernières
Au salut de Paris, des bourgs et des chaumières,
Geneviève ne veut leur opposer raison.
Lors, brisant la cohue et la clameur immense,
Un cri plane vibrant, sur la foule en démence:
“Que fais-tu, peuple injuste, à la face de Dieu?”
C’est un clerc de Saint Loup mourant, qui la salue,
Dignement la déclare entre toutes l’élue,
Et dépose à ses pieds les présents de l’adieu.
XV
LA CITE
Aux rives de Lutèce et que la Seine baigne
De ce flot doux coulant qui vient des coteaux d’or,
Dans la vieille cité, pourtant bien jeune encor,
De nouveau le raisin mûrit, le bonheur règne.
Le malheur sur la ville ou sur soi-même, enseigne
A mieux mener sa vie, à songer à la mort,
Mais le péril passé, le plaisir reprend… Or,
Geneviève s’en plaint, dolente, et son coeur saigne.
Ce peuple qui jadis un instant a faibli,
Mange le pain de joie et boit le vin d’oubli,
Et l’humble fille a peur qu’il retourne en servage.
Pensive aux bords de Seine et voyant l’eau couler,
Telle un ancien apôtre, elle rêve d’aller
Prêcher la loi divine au plus obscur rivage.
XVI
LA MENACE
La ville heureuse un temps, retombe en noir souci.
Faisant bris et mépris des lois et des franchises,
Saccageant les manoirs et pillant les Eglises,
Les hordes de Clovis n’ont pitié ni merci.
L’antique espoir se meurt. Le ciel s’est obscurci.
Les vieillards sur le seuil au soir plus ne devisent.
Leurs boeufs leur sont volés, leurs moissons leur sont prises.
A vaincre les bandits, nul chef n’a réussi.
Le soin de la Cité repose en Geneviève.
Contre toute menace elle n’a meilleur glaive
Que son coeur valeureux aux avisés propos.
Sur la ville apparaît le spectre de famine.
La faim conseille mal, les gens ont triste mine.
Le loup dans la nuit rôde à l’entour des troupeaux.
XVII
LE FLEUVE
Nul chemin n’est plus sûr que le fleuve qui coule.
Geneviève a choisi les plus forts bateliers,
Et demarrant la flotte attachée aux piliers,
Elle part au milieu des adieux de la foule.
Elle échappe aux dangers de l’ombre et de la houle,
Campe les nuits de lune aux abords des halliers,
Distance, grâce au vent, le guet des cavaliers…
Le grand fleuve propice et la berce et la roule.
Les démons auront beau, pleins d’un esprit subtil,
Faire pencher la barque et la mettre en péril,
Geneviève en priant, d’un geste la relève.
Elle revient un soir, ses bateaux lourds de grain,
Baille aux uns le froment, donne aux autres le pain,
Et tous les pauvres gens ont béni Geneviève.
XVIII
LA CONVERSION
La lutte est acharnée et Clovis, anxieux,
Frappant et d’estoc et de taille, s’inquiète,
Voit faiblir son armée et surgir la défaite.
Lors, des larmes de rage ont coulé de ses yeux.
Il pense à sa Clotilde aimée, aux jours heureux,
A ce Dieu qu’elle prie en sa raison parfaite,
Et soudain, enflé d’ire et de gloire, il se jette
Et l’affreuse mêlée, abjurant ses faux Dieux.
Dans le riche palais ou dans l’humble demeure,
La foi des coeurs fervents a préparé cette heure,
Et pour longtemps sauvé le vaisseau du brisant.
Aidant le chef à vaincre et les soldats à suivre,
Donnant la paix qui calme et le mot qui délivre,
La prière est pareille au fleuve bienfaisant.
XIX
LA JOIE
De Clovis converti se répand la nouvelle.
Paris est en liesse et ce peuple moqueur,
Emu plusqu’il ne veut, s’éjouit en son coeur,
Fort avisé se montre, et sage se révèle.
Ici, c’est un marchand sur le Pont Vieux, qui hèle
Les badauds et leur dit le los du roi vainqueur.
Là, c’est un batelier, qui rame avec vigueur…
Dès lors, chacun y met le plus louable zèle.
Ils en parleront tous ces soirs dans les maisons,
Le plus malin dira ses projets et raisons,
Fera que l’ami boive et que la femme endêve.
Aux chandelles, emmi la nuit, dans la cité,
De l’étudiant fol au doux vieillard voûté,
Tous, d’un commun accord, salûront Geneviève.
XX
LES CLEFS
Paris fleurit son âme et pavoise ses tours,
Car le bon roi Clovis doit entrer dans la ville.
Les notables, pour la fête, tiennent concile.
Bien des gens sont venu du plus lointain des bourgs.
Les dames ont vêtu riches et beaux atours.
L’aveugle entend les sous tinter dans la sébile.
Le cortège, à travers rues et places, défile.
Le fleuve digne et calme a ralenti son cours.
Un évêque béni la foule en son atente
Et sur un coussin d’or, Geneviève présente
Le pain, le sel, l’épée et les clefs au milieu.
Puis elle dit, tremblant un peu: “Roy Clovis, daigne
Accepter notre hommage et par ta bonté règne.
J’avais gardé Paris pour te l’offrir en Dieu.”
TROISIÈME DIZAIN
Et meriti ejus abundaverunt
valles nostrae frumento.
Au portail voici Geneviève!
L’aube, quand le soleil se lève,
Pose à son front l’ardent reflet.
En ses mains le livre et cierge,
Que le démon près de la vierge,
Tente, mais en vain de souffler.
LES DEUX ÂMES
En son palais d’hiver, seule clotilde reste.
Clovis et tous ses preux en guerre sont partis.
Le temps serait d’ennui sans les enfants petits,
Qu’elle couve de ses yeux et caresse du geste.
Geneviève, très vieille en sa mise modeste,
Près d’elle vient passer les longs après-midi,
Et l’heure ainsi s’écoule en entretiens et dits,
Pleins de conseils pieux et de gr^ace celeste.
A la reine, elle apprend la vertu, la douceur,
Trouve pour lui parler des mots charmants de soeur,
Et la pourpre des rois voisine avec le serge.
Oublieuse du mal et pardonnant le tort,
L’âme prise et gagnée au divin réconfort,
La reine sant déchoir peut écouter la vierge.
XXII
LA SERVANTE
O souvenir d’enfance au fond de l’âme enclos!
Geneviève revit les heures écoulées:
Le soin de retrouver les brebis en allées,
Le don du pain bénit, le départ sur les flots,
Puis pour Paris aimé, les craintes, les sanglots,
L’apaisement des coeurs, la guérison des plaies,
Et souvent, vers le soir, des larmes refoulées
Devant le mal qu’on trame en de hideux complots.
Elle sait demeurer au chemin de la vie
Le refuge de grâce et la bonne vigie,
Quand le sentier d’épine est plus rude à gravir.
Elle nourrit le pauvre, elle fleurit le temple,
Conseille les vertus et veut prêcher d’exemple,
Car son plus noble orgueil est d’aimer à servir.
XXIII
LA CATHEDRALE
Voulant offrir à Dieu la plus haute prière,
Par Saint Denys, martyr, sublime intercesseur,
Geneviève entrevoit le geste bénisseur
Que ferit sur la plaine un pieux sanctuaire.
Dès lors, de coeur s’adonne à la tâche ouvrière,
Fait l’office onéreux de maître en tel labeur,
Dirige les métiers, discute avec douceur,
Et le temple bientôt dresse son corps de pierre.
Elle met sa foi vive au sujet du vitrail,
Et, dans la nef pareille à l’antique bercail,
L’autel a resplendit de lumière dorée.
Puis, aux flèches de feu du soleil qui descend,
Elle rêve de chants solennels et d’encens,
Et de foule à genoux priant à la vesprée.
XXIV
LA MOISSON
Vers le noble Rémi, l’évêque, ou, vers son champ,
Geneviève, un soir lourd d’été, s’est en allée.
L’orage au ciel épars, menace la vallée.
Le vent cingle le chêne et va les blés couchant.
Les moissoneurs sont las, mais elle s’approchant,
Par larmes et prières à la tâche supplée,
Sait conjurer la pluie et la foudre d’emblée,
Comme, d’un mot, le juste écarte le méchant.
Puis, mettant à profit et le miracle et l’heure,
Elle parle avec tous au seuil de leur demeure
Et ses lèvres de miel ont versé le bonheur.
Car en dépit de ceux qui jalousent ou blâment,
Sa plus riche moisson est la moisson des âmes.
Sa joie est de porter le faix du bon glaneur.
XXV
L’EXTASE
Au printemps de sa vie, en l’hiver de son âge,
Geneviève connaît l’abandon, la douleur.
Le jeûne à son front met la divine pâleur
De ceux pour qui la vie est l’éternel servage.
Mais vient un soir l’extase, et vers l’ardent rivage
Des paradis rêvés, vers ce royaume en fleur
Où la joie est toujours sans lendemain de pleur,
Sa pensée au vol libre et s’exile et voyage.
Elle s’abîme toute en son ravissement,
Et, pour elle, plus rien n’existe en tel moment,
Car cette mort d’une heure a d’invincibles charmes.
Mais sur les blés mouvants, voici l’or du soleil,
Et tant s’émeut la Sainte aux lueurs du réveil,
Qu’elle y puise le don si précieux des larmes.
XXVI
LA MORT
Paris lamente et plaint: Geneviève se meurt.
Dès l’aube à son chevet viennent prier les vierges,
Mais le vent de la mort a passé sur les cierges.
Le soir tombé, s’éteint le flambeau du Seigneur.
Celle qui fût l’esprit de foi, le bon semeur
De grain, le vin puissant des celestes auberges,
Celle que les rameurs acclamaient sur les berges,
Qui sut sauver un peuple, éloigner le malheur,
Et garder de l’écueil le frêle et vieux navires,
N’est plus, sur un lit blanc, qu’un visage de cire.
A l’entour se prosterne une foule en sanglots.
La prière du pauvre est le plus bel hommage,
Et chacun se haussant contemple ce visage,
Car il reste du ciel au bord des grands yeux clos.
XXVII
LA LAMPE
Loyal servant d’église, à la barbe chenue,
Qui fus jadis guerrier, humble scribe ou marchand,
Apporte à Geneviève un bouquetde ton champ:
Sans la foi des petits, la tombe serait nue.
Veille bien sur le feu de la lampe menue
Qui semble un astre pâle à l’heure du couchant,
Et toi, peuple au grand coeur naïf, au doux penchant,
Laisse couler en paix ta prière ingénue.
La lampe de la nef, où plus d’un vient puiser
L’huile sainte, qui peut tous les maux apaiser,
A le feu de l’amour et la vertu de l’âme.
C’est le divin signal qui garde de l’écueil,
Le salut sur la rive et l’espoir dès le seuil.
Fasse, ô noble Paris, que n’en meure la flamme!
XXVIII
LA CHASSE
A pieds déchaux, des fleurs au front, vêtus de lin,
Par la ville s’en vont les porteurs de la Châsse.
Sur les places, les ponts, une foule s’amasse,
Pour à l’aise admirer l’Evêque ou l’Echevin.
Tel vient en curieux, et tel en pèlerin,
Désireux de spectacle ou quémandeur de grâce.
Par pluie ou vent, froidure ou chaud, nul ne se lasse,
Du clerc jusqu’au soldat, du seigneur au vilain.
Au jour d’affre et de guerre, au temps de la disette,
Contre le flot qui monte ou la peste qui guette,
Le cortège implorant chante gloire et pardon.
Un souvenir demeure en l’or du reliquaire,
Et Paris tout vibrant des bienfaits de naguère,
Consacre à Geneviève un coeur plein d’abandon.
XXIX
LES MIRACLES
O moine qui transcris sur vélin le grimoire,
Où le scribe nota, patient, scrupuleux,
L’ancien mystère aux faits et dits miraculeux,
Choisis les versets lourds de symbole et de gloire.
Enlumine la page et remets en mémoire
Ce temps qui fut pour nous naïf et fabuleux,
Quand, guérissant le sourd, l’aveugle et le galeux,
Geneviève prêchait foi, sagesse et victoire.
Sur la détresse humaine, elle imposa les mains,
Et fit fleurir l’espoir aux buissons des chemins.
Au toucher de ses doigts, naissait l’ardente flamme.
Ignorer le miracle est d’un mauvais orgueil,
Puisque pour nous, aux jours de liesse ou de deuil,
A l’oeuvre de ténèbre, elle opposa son âme.
XXX
ERASME
Le docte et sage Erasme en vers latin écrit,
Près des rives de Seine où le mena son rêve,
Au prestige éclatant de Sainte Geneviève,
Le merci de son coeur et le los attendri.
Son poême n’est point la séquence ou le cri
Qui naît en oraison puis en verset s’achève,
Mais le geste d’amour de la foi qui s’élève,
Oublieuse du mot, attachée à l’esprit.
Il enseigne que riche, illustre ou bien sans gloire,
Ignorant ou lettré, l’homme au divin doit croire
Pour la splendeur de l’âme éparse en l’univers.
Et tout saisi d’un saint et mystique délire,
Donnant un sens au verbe et un but à sa lyre,
Pour la première fois Erasme écrit en vers.
EN L’HONNEUR D’ELLE
RONDEAU
En la cité, sur la place de la rive,
Et sans raison qui tolère ou motive,
Nombre de sots par l’art sont honorés.
Le bon passant, en les voyant de près,
Leur fait la moue et de pitié s’esquive.
Tel fin rhéteur a su nos prendre aux rets.
L’Etat, dès lors, d’un marbre fait les frais,
Et ce faisant, de vertu il nous prive
En la Cité.
Mais que plutôt Geneviève aux beaux traits
Par la statue ou le livre revive!
Nous n’en aurions que plaisir sans regrets,
Et qu’un chacun, l’offre n’est trop tardive,
Lui fasse don d’une lampe votive
En la Cité.
SONNET
Au livre modeste
Le salut d’adieu
La nef a jeté l’ancre au port des grands espoirs.
Après les durs combats les fiers soldats reposent.
Si glorieux ils sont, que les poètes n’osent
Chanter leur épopée, en la pourpre des soirs.
Que le verbe n’a-t-il ces magiques pouvoirs
Qu’il avait d’exalter les âmes et les choses!
Le temps ancien gardait les louanges encloses,
Au parchemin du livre et sous l’or des fermoirs.
De gloire ou de deniers ne me souciant guère,
Je laisse à de meilleurs les peèmes de guerre,
Car mal chanter la France est de mauvais aloi.
Sois donc, ô petit livre, un chant naïf, modeste
Et simple, à la façon d’un bon trouvère, et reste,
Aux pied de Geneviève, un hommage de foi.