Vie de Sainte Geneviève par Pierre Le Juge


Source: Pierre Le Juge, La vie de Sainte Geneviève, imprimée à Paris par Henry COYPEL en 1586.
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Gravure sur bois représentant Sainte Genevieve tirée de l’ouvrage de Pierre LeJuge

LIVRE PREMIER

Comment mà dame Saincte Geneuiefve nasquit à Nanterre et sa saincteté fut reuelee à Sainct Germain Euesque d’Auxerre, et du tesmoignage qu’il en donna.

Chapitre premier

ENuiron l’an de grace 433 ou 434, lors qu’Honore fils du grand Theodoze tenoit l’Empire d’Occident à Rome et Theodoze le jeune fils d’Arcade celuy d’Orient, nafquift la glorieufe vierge, ma dame faincte Geneviefue à Nanterre village diftant de trois lieües de Paris, & fut fon père nommé Seuere, & fa mère Geronce, tous deux gens de bien, & tres-Catholicques.
Ce qui aduint du regne de Clodio le cheuelu, fecond Roy des François après Pharamond, {Genebrad. li.3. de fa chronographie} & vefcut (comme on peut computer et coniecturer) fous ledict Clodio enuiron 14 ans, fous Meroüee 10. fous Childeric 26. {Aymon.} & fous Clouis 30. iufques au temps de Clothaire & Childebert, enfans & fucceffeurs dudict Clouis {Sigebert} qui font iuftement quatre vingts ans paffez qu’elle auait quand elle mourut: fous les Empereurs Honore & Theodoze le ieune, Valentinien & Mertinian, Leon premier, Zenon, & Anaftaze: {Philippe de bergame des femmes illuftres.} & fous les Papes Celeftin, Sixte, Leon premier, Hilaire, Simplice, Foelix fecond, Gelafe & Anaftaze fecond.
Or quelquetemps après, c’est à fçavoir l’an 440. felon les Annales de France: {Sigebert} mais selon Sigebert l’an 436. monfieur fainct Germain, Euefque d’Auxerre, par le commun decret des Prelats de la Gaule {Bed I. cap.17.}, allant vers la grande Bretaigne (maintenant dicte Angleterre) auec fainct Loup, Euefque de Trye, pour refuter, & conuaincre l’herefie des Pélagiens, qui pulluloit en ces pays Infulaires, pafferent par le petit village de Nanterre, foit pour faire oraifon, ou pour fe rafraichir, & heberger:au deuant defquels vint grande multitude d’hommes & de femmes, pour recevoir leur benediction, entre lefquels vint auffi ladicte vierge faincte Geneuiefue, pour lors aagee environ 6.ans {L’Auteur en fa vie.}, la faincteté de laquelle congnoiffant le dict faint Germain par efprit prophetique {Anto. au titre xi. chap xix.}, la fit venir à foy, & la baifa au front {Vincent hiftorial liure xxi. chap xlvi.}, puis f’enquift diligemment de fon nom, & qui eftoient fes peres & mere, lefquels luy eftant reprefentez, leur dift:
O que vous eftes heureux, mes amis, d’auoir vn tel enfant: Car foyez certains et affeurez que au iour de fa naiffance les Anges ont demené grande ioye & lieffe au ciel, & non fans caufe: Car fçachez qu’elle fera de grand merite deuant Dieu, & que plufieurs à fon exemple delaifferont leurs vices, & se conuertiront, & retourneront à Dieu le Createur.
Apres cela il demanda à la pucelle, fi elle ne defiroit pas uiure en chafteté, & voüer fa virginité à Iefus Chrift, laquelle auec une grande prudence & iugement, ne refentant en rien fon enfance, luy refpondit en cette forte:
Ha pere fainct, jamais n’a efté autre ma volnté, & n’ay oncques fouhaitté chose davantage au monde: il ne refte finon qu’il vous plaife prier le Createur pour moy, à fin qu’il conduife ma deuotion, & accompliffe mon defir.
L’Euefque luy dift:
Aye bonne confiance en Dieu, ma fille, & prens courage: car il t’aidera, & te donnera force & pouuoir de ce faire. Cù disant, tenoit toufiours la main sur fa tefte , iufques à ce qu’ils fuffent entrz en l’Eglife. Ou apres auoir bien & deuëment fait ce qui eftoit du deuoir diuin, beneift le peuple, & le licencia, puis commanda au pere, que le landemain il luy rameneraft fa fille.
Ce qu’il fit: parquoy le landemain de grand matin fut reprefentee ladicte vierge aux faincts Euefques, laquelle fainct Germain ayant aperceuë, luy dist:
Et bien Geneuiefue, vous fouuient-il point de ce que vous promiftes hier de voftre virginité? Ouy, dift-elle, pere fainct, & fi ay bonne efperance, moyennant la grace de Dieu, de le mettre en execution:
Et incontinent ledict fainct Euesfque regardant en terre, ramassa vn denier d’airain, figné du figne de la croix, là tranfmis tout à propos, par la volonté de Dieu, & luy donna, difant:
Prens ma fille ce denier, & le pends à ton col, & ne permets iamais autres ioyaux sur toy, ny d’or, ny d’argent, ny de pierres precieufes, de peur que fi les biens mondains occupent vne fois ton ame, tu perde les celeftes & eternels.
Cela dict, fe recommanda à fes prières, & elle, à fon pere: puis pourfuyrent leur voyage en Angleterre heureufement, comme ils auoient commencé. De cette confecration de la vierge par sainct Germain, & de ce premier voyage en Angleterre, un certain Religieux d’Auxerre, de l’ordre de sainct Benoift, nommé Heric {Heric liure 3.}, en son 3. liure qu’il efcrit à Lotayre fon Abbé, fils de Charles le Chauue Empereur & Roy de France, nous en efcrit en cefte forte:

PArifienfis iter carpferunt protinus agri,
Nantodorum fe bis tribuit folatia noctis,
Turba loci complexa diem teftata probatos
Aduentare viros, rapto fert agmine grefsum,
Obvianque exceptis impertit debita fanctis:
Funditur in cincta praefens benediction plebei,
Inde rudes animos monitis caelftibus aptans
Spargere nectareas aruis arentibus vndas
Germanus facer aggreditur, plenonque; fluentent
Vultibus immotis attentant fonte fophiam,
Eminus in media diuam conftare puellam,
Porrecto praeful cernit super agmina vultu,
Ac velut aetherunt quid commentatus in illa,
Cominus admotant perblando famine mulcet,
Si cui voenales fundit licitatio gemmas,
Dum cunctis inhiat, preciosam conspicit vunas,
Hanc rapit, hanc multis optat fibi ftare telentis
Semotamque alÿs, gremio dat ferre tenaci,
Immensum ftupere viri, caput ille pauertis
Ore souens sacro, quibus orta parentibus effet,
Quondue sibi nomen, verbis perquirit amicis,
Virginis in medium monstrantur adeffe parentes,
Ritu et quod patrio nomen Genouefa tuliffet:
Mox facer impleuit diuini pectora vatis
Spiritus, & rutilo fic intonat ore facerdos:
Ô lepidum certè caput! Ô praecordia digna!
Ô femper meritos tali de prole parentes,
Cuius in exortu fuperos ingentia ciues
Gaudia perflarunt, vero fi credere curae eft.
Intima fecretis haec quondam admota fupernis
Constabit perchara Deo, perflendida mundo,
Atque ipfis imitanda viris: fic fatus et vltro
Complectens ipfam, fare ô fanctiffima, dixit,
Neu percontanti malis fubducere patri,
An delecteris magni cognomine fponfi,
Cuius in amplexus non tu nifi & integra transis?
Illa rapit verbum, plenoque audencior ore:
Huius amore feror dudunt praeferuida, dixit,
Amplector titulum cognatae virginitatis,
Innuba fyderero poffim quo nubere fponfo,
Id fi dignaris per te firmarier opto,
Et manibus fubmitto caput, fer vota precanti:
Praeful ouat fpolio, caftifque amplexibus vrgens
Magnanimam perftare iubet mox limina laetus
Sacrae aedis penetrat, fixâque in vertice dextra
Solemnes ex more preces & vota peregit,
Spiritui fancto vas aptans immaculatum:
Confectis rebus, releuant mortalia victu:
Tum fido pignus deponens iure parenti
Ad lucem remeare iubet, fic denique factum.
Num memor hefterni perfiftis filia voti?
Praesul ait: certè memorem fe virgo fatetur,
Eius at obtentu nimium foret indiga, cuius
Confervaturam pactis fponfalia taedis.
Succefsit res mira loco, fauiffe videres
Amborum votis collato munere Chriftum.
Prona folo praesul mox pendula lumina fixit,
Aereus emicuit fupremo in pulluere nummus
Infculptus cruce, fublatum tellure facerdos,
Munus adoptiae collo deuouit alumnae,
Hoc dicens, dotis noftrae geftamen habeto,
Hoc discedentem ante oculos persaepè vocato,
Coetera mundano pompam referentia cultu,
A collo, dignitifque tuis arcere memento,
Extera carnalem fubigant infignia fponfam,
Nupta Deo gemmis animum copone pudicis:
Nunc longum, preciofa, vale, genitoribus illam
Servandam pofthaec fidis commifit, at ipfe
Pergit ad omiffos noto moderamine calles.

Comme madame saincte Geneuiefve rendit la veuë à fa mere.

Chapitre II

QUelque temps après le depart des faincts Euefques {L’autheur en fa vie.}, il aduint qu’vn certain iour de fefte, Geronce mere de la pucelle, voulant aller au fainct feruice, commanda à fa fille de garder la maifon, ne confiderant la vocation à laquelle Dieu l’auait appelee, qui fut cause que la pucelle infpiree fecretement de Dieu, & prepofant l’amour d’iceluy à la volonté particuliere de fa mere, luy refpondit avec une grande prudence furpaffant fon aage, Qu’elle defiroit accomplir la promeffe, qu’elle auoit faicte aux faincts Euefques, laquelle eftoit de feruir Dieu, & fe voüer du tout à luy, parqoy ce ferait chofe ridicule & indecente, qu’en ce iour de fefte, lors que les autres feroient au fervice du diuin, elle n’y affiftaft pas: Mais ainsi qu’elle parlait en cette maniere, fa mere trop legerement enaigrie, luy donna un fofflet en la iouë, ce qui ne demeura pas impuny: car fi toft elle en perdit la veuë, & demeura aueugle l’espace de vingt & vn mois: apres lequel temps, rememorant en soy-mefme, & considerant le bon tefmoignage qu’aurait donné n’agueres fainct Germain de fa fille, eut efperance de pouvoir recourir la veuë par fes merites: partant bientoft l’appella, & l’enuoya querir de l’eau au puits, laquelle y eftant allee en diligence, vint à fe refouuenir par le vouloir de Dieu, comment fa mere auoit perdu la veuë a caufe d’elle, fi fe print à pleurer amerement, & à lamenter quelque temps fur la marche du puits, aprés porta l’eau à fa mere, laquelle luy ayant fait faire le figne de la croix deffus la dicte eau, la receut d’elle auec vne ferme foy, & efleuant la main & le coeur au ciel, s’en laua les yeux, & auffitoft commença à voir quelque peu, ce qu’ayant reiteré deux ou troys foys, vit entierement comme devant.
Depuis fa mere tant qu’elle vefcut l’eut en singuliere reputation & estime. Or quelques annees apres eftant devenue en fon adolefcence {L’autheur en fa vie.}, elle fut menee à l’Euefque de Chartres {Anton. au liure prealleg.}, nommé Vilique, pour efstre confacree vierge à Dieu, felon l’ancienne couftume {Vincent. hiftor.}, laquelle luy eftant presentee auec deux autres plus aagees qu’elle, l’Euefque congnoiffant par infpiration diuine fa faincteté, la feit mettre la premiere, & la prepofa aux autres, ainfi que nous lifons auoir fait Iacob, preposant Ephraim le puifné des enfants de Iofeph {Gen. 48}, à Manaffé l’aifné, par certain mystere: & comme Iacob auoit ete preposé à Efaü fon aifné {Gen. 17}: ainsi donc la vierge fut preposee aux deux autres: laquelle ayant efté confacree par ledict Euefque, fut nourrie en la maison de fes parents, en la crainte de Dieu, & l’obfervance de fes commandemens iufqu’apres leur mort, qu’elle fe retira à Paris.

Comme la faincte vierge demeurant à Paris, fut malade de Paralyfie, & comme elle fut de rechef visitee de fainct Germain.

Chapitre III

DV temps de Valentinian, fils de Placidie, eftant Roy de France Merouëe, lequel quelque temps aprés ayant conquis vne bonne partie des Gaules fur les Romains, luy a donné le nom de France, & nommé son peuple Fronçois, comme nous recitent Gregoire de Tours, Aimon, Adon, & la Chronique des Confuls.
Madame faincte Geneuiefue eftant demeuree orpheline, encore en fon adolefcence, s’en vint demeurer à Paris, y eftant appelee par une bonne Dame dudict lieu {L’autheur en fa vie.}, qui eftoit fa marraine {Anton. au liure prealleg.}, tant pour la faire proffiter en ce, en quoy elle auvoit un fort bon commencement, que pour heurer fa maison par la prefence de la bonne amie, & ancelle de Iefus Chrift.
Comme ainfi foit que pour la prefence de fes fideles seruiteurs il a fouuentesfois eflargy fa benediction fur les maifons & a deliuré plusieurs villes de mal, comme la ville de Segor, pour l’amour de Loth fon feruiteur, la maison de Laban à caufe de Iacob {Gene. 30}, & la maison de l’Egyptien Putiphar Ioseph y eftant {Gene. 39}.
Tout ainfi cette bonne Dame efperant quelque bonheur pour la prefence de la faincte pucelle, la retira & receut humblement en fa famille: Mais elle n’y fut pas longtemps, que bientoft ne cheut en vne forte et griefue maladie de Paralyfie, delaquelle fut tellement tormentee, que par l’efpace de trois iours elle femblait pluftoft morte que viue, n’euft efté qu’elle auoit encore bien peu de couleur aux iouës: noftre Seigneur permettant cefte maladie à fa feruante pour l’efprouuer, comme on faict l’or en la fournaife: ainfi qu’il aduient fouuent qu’il enuoye des tribulations à ceux qu’il aime le plus, comme il a fait à Iob, à vn Thobie, à vn fainct Paul, & à une infinité d’autres.
C’est pourquoy dit fort bien monfieur fainct Jacques {Iac I.}, Heureux celuy qui endure tentation, car aprés auoir efté efprouuvé, il recevra la couronne de vie, laquelle noftre Dieu a promis à ceux, qui l’aimeront.
Donc madame faincte Geneuiefue, ainfi comme monsieur fainct Etienne eftant en la plus forte tentation de fa foy {Act. 7}, à fçauoir entre les mains des bourreaux qui le vouloient lapider de toutes parts, a rceu plus grande grace, & consolation de Dieu, de voir le ciel ouuert, & le fils de Dieu affis à la dextre du pere: Auffi la faincte Vierge eftant reuenue en conualefcence, affeuroit avoir efté conduitte en efprit par l’Ange de Dieu au lieu des bien heureux, & des damnez, où elle auait veu la recompenfe des bons, & la peine des mefchants: & de là en auant auffi a receu telle grace, qu’elle congnoissoit les fecrettes confciences des hommes, dont elle en a faict quelques fois rougir de ceux qui f’eftimoient les plus iuftes, & les a amenez à penitence, comme nous en dirons par cy apres quelques exemples.
Or quelques temps apres cette grande maladie, à fçavoir l’an de notre falut 448. felon Sigibert {Sigibert. Bed.I. cap21.}, comme les Heretiques Pelagiens ne ceffaffent de tourmenter cette pauvre Ifle de Angleterre par leurs faulfes perfuasions, furent de rechef deputez le dit fainct Germain Euefque d’Auxerre, & fainct Seuere Euefque de Treues, difciple de fainct Loup, par le Pape Sixte, pour y aller: lesquels f’acheminans pour passer par le village de Paris, vint grande multitude de peuple au deuant, duquel ils f’enquirent diligemment de la pucelle Geneuiefue (qui pourrait etre aagee de quelques quatorze à quinze ans) ce qu’elle faisoit, & comment elle viuoit: Mais le peuple (qui est pluftoft preft à mefdire des gens de bien, que de les imiter) fit refponfe que ce n’eftoit rien, & tafchoit à obscurcir fes vertus, par le venin de fa langue, en quoy faifant la loüoit dauantage: Car le bon Prelat n’eftimant rien leurs paroles mefdifantes, s’en vint droict où elle demeuroit.
Et l’ayant faluee auec vn tel refpect, que chacun f’en emerveilloit, fe mirent en prieres: quoy faict, fut icy que l’Euefque monftra à vn chacun combien eftoit faux le rapport des mefdifants {Mat. 26.}: Car comme la faincte pechereffe Marie Magdaleine à la conuerfion auoit fuffifamment ploré pour lauer les pieds de notre Seigneur auffi monftra-il la terre totalement arrosee, & baignee des larmes de la pucelle en fes prieres et oraifons, qui n’eftoit pas figne de petites vertus.
Ce second voyage est encore efcrit par le fufdict autheur Heric {Heric liure 4.}, liure quatrieme, comme il s’enfuit:

TVque tuum rurfus, populofa Lutetia nomen
Carmine conde meo, mihi certè mentio conftat
Semper grata tui, quod te nunc offibus ornat
Sponfa mei Domini qondam celeberrima fignis,
Huc tunc ingreffus Praeful Germanus amore
Excipitur miro, pronam benedictioo plebens
Confouet, ingenti fubfultant omnia pulfu.
Depfiti memor ille fui, quinam Genouefam
Cafus aga, studio mox, percontatur amico.
Coelitus attigerant animum discrimina, credo,
Plurima, quae tempus fuerat perpeffa per illud,
Vt folet obloquÿs pietas fucumbere duris.
Parque fuit nigrae virus deprehendere mentis,
Cum concepta femel furialis femina flammae,
Nec fancto praefente viro plebs liuida preffit.
Cui tamen illa fuo meliùs quàm nota parenti eft
Exim virgineae fecedit in abdita cellae
Confeptus populo prodit mox obuia virgo:
Quam pater ingenti magnus pietate falutat,
Numinis vt templum veneratum iure putares.
Hinc fpectans plebem, extràque filentia mandans,
Virginis aufpicÿs repetit praeconia primis,
Vt facrum Chrifto foelix infantia corpus
Aptarit, nullo temerendum in secula pacto,
Se quoque virginei femper manfiffe pudoris
Abiuncto quanquam fecretum corpore teftem:
Vtque, ait, indubias ftatuat sententia mentes,
Argumenta rei veris perdifcite signis.
Dixit, et infectam lacrymarum flumine terram
Virgo orans promos quà fe fiectebat in artus,
Oftentat digito: rabies hinc pulfa furentes
Lenÿt: incepti cunctos piguiffe videres.
Confenfu focio cunctis decernitur infons,
Infontem cuncti conferta laude fatentur,
Componit rabidos affertio vera tumultus,
Déque animis atri pellit contagia fellis.
Exin Parifias celebris Genouefa per oras
Obtinuit mertae paffim praeconia palmae.
Singula geftorum, clariffima virgo, tuorum
Committi calamis mihi mens fuit ignea nostris.
Grandia multiuolum reuocant fed coepta Poëtam.
Ne tamen hos iusto fundam fine foenore verfus,
Supplicis efto memor, precibùsque tuere fidelem:
Quàfque tuo nofti dotes accedere fponfo,
Accefsiffe tibi collata forte putato:
Iàmque vale, coniuncta Deo, feclique memento.

Comment par les merites de Madame faincte Geneuiefue la ville de Paris fut gardee & conferuee des incursions des Huns.

Chapitre IIII

EN l’an de grace 455. felon les Annales de France, ou 53. felon Sigebert en fes Chroniques, le 9. du regne de Merouëe, les Huns foubs la conduite d’Attile, apres auoir fait mourir Blede fon frere, fortis de la Pannonie, fuivis d’un nombre infiny de peuples de ces pays Septentrionnaux, comme Marcomans, Suéues, Quades, Herules, Turcilingiens, Ruffiens, Gepides, & autres ayans trauerfé & faccagé toutes les terres Alemandes, fe debanderent, & ruerent fur les Gaules, & parties d’Occident, où paffé le Rhin, prindrent & ruinerent les citez de Magonce {Mayance}, Spire, VVormes, Strafbourg, Treues, Colongne, & autres: puis venant au pays Meffin, prindrent & bruflerent Metz ville capitale, où ils entrerent la veille de Pafques, faifant tout paffer au fil de l’efpee, & maffacrans les Preftres deuant les faincts Autels, & ne laiffant rien qu’ils ne feiffent deuorer aux flammes, de là vindrent à Troyes en Champagne, qu’on dict auoir efté preferuee par vn diuin miracle du bon Euefque fainct Loup (duquel nous auons parlé par cy deuant) leur eftant allé au deuant, & leur offrant l’entree de la ville, là où toutesfois ils furent faifis de tel aueuglement, qu’ils ne peurent rien executer de leur deffein, & entreprifes.
Ils ruinerent la citez de Rheims, & y occirent le fainct Pafteur Nicaise, & fa soeur faincte Eutrope {In Chron. Sigebert. 453.}: En fomme, ils ne laifferent prefque coing de la Gaule, & principalement Belgique, où ils n’efpandiffent leur fureur, & bien que Meroüee s’oppofa à telle tempefte, fi eft-ce que les Huns le contrainrent de reculer, & ce fut lors qu’il se joignit aux Gots, Romains, & Bouguignons, tous deliberez de chaffer ce Tyran, ou de mourir en la peine, eftant refolus de venger le fac de tant de villes, & le fang de tant de Germains, Gaulois, & Romains, maffacrez par Attile, iufques à en auoir occis onze mille vierges en vn iour {Ifuard. in Martyrolog}, en la cité de Colongne Agrippine, lequel finalement voyant tout luy reüffir à fouhait, & qu’il auoit mis les François en fuite, s’en alla mettre le fiege deuant la Cité d’Orleans, la mettant en telle deftreffe, que fans la prefence & les prieres de l’Euefque fainct Aignan, il l’euft emportee: mais Dieu ayant pitié de fon peuple, deliura les Orleannois, & força Attile de leuer le camp, pour entendre aux peuples de diuers lieux, qui s’eftoient alliez pour luy donner deffus, à fçauoir les François, Bourguignons, Gots, Saxons, Sarmates, Germains, & Gaulois, aufquels il auait faict quelques iniures.
Or ce pendant que toutes ces chofes fe paffoyent, la frayeur de cet Attile eftant telle, & fi grande peur que rien plus: Les Parifiens qui n’en craignoient pas moinsaduenir en leur ville, qu’aux autres mettoyent toute peine de faire trafporter leurs biens, femmes, & enfans aux autres villes plus fortes, & affeurees, que n’eftoit Paris en ce temps là.
Ce qu’entendant Madame faincte Geneuiefue (qui pouuoit eftre aagee pours lors de xxi. ou xxij. ans) appela à foy les fages & honneftes Dames de la ville, & les exhorta de fe maintenir en prieres & oraifons avec elle quelque temps, à fin que par ce moyen elles puffent à l’imitation des fainctes Dames Iudith & Hefther, appaifer l’ire de Dieu {Iudith, Heft. 14}, & rompre le deffein des Barbares ennemis: au demeurant ne ceffait d’admonester les citoyens de ladicte ville, de ne rien tranfporter ailleurs: Car les villes qu’ils eftimoient les plus feures, feroient deftruictes, mais que Paris par la grace de Dieu n’auroit aucun mal.
Qui fut l’occafion que quelques feditieux, et remueurs de menages s’efleuerent contre la vierge, & conspirerent entr’eux ou de la lapider, ou de la ietter en la riuiere, ou de la faire mourir par quelque autre maniere que ce fuft, difans que c’eftoit vne enchantereffe et fauffe propheteffe, laquelle par les belles paroles & par les rufes, les vouloit attirer à fon opinion, a fin de les perdre & ruiner: Mais Dieu, qui ne delaiffe iamais les fiens en affliction, comme dict le Pfalmifte, Le Seigneur Dieu affifte de prés à ceux qui font en tribulation, & sauuera les humbles de coeur & d’efprit: ainfi qu’il a deliuré Iacob des mains d’Efaü, Iofeph de la conspiration de fes freres, Dauid des embuchesde Saül {Gen. 33. Gen. 37. I Rois 19. 20. 21. 22. 23. 24. 25.}: aussi deliura-il la vierge des seditions de ce peuple: Car sur ces entrefaictes arriua à Paris vn Archediacre d’Auxerre, aprés la mort de fainct Germain (lequel eftant allé en Italie pour le pays de la Bretaigne, dicte Armorique, mourut à Rauenne quelque cinq ans au parauant, à fçauoir l’an 450.) {Bede des gesftes des Anglois liure I. chap. 21., Sigibert, L’auth. en fa vie, Anton., Vincent Hiftor.}.
Or cer Archediacre ayant efté aduerty de ce qui fe braffait contre la vierge, luy, qui auftrefois auoit entendu fainct Germain parler tant bien d’icelle, vint par deuers lefdicts confpirateurs, pour & à fin de rompre leur conseil, & leur parla en cefte forte:
Eftes vous, meffieurs, fi eftranges de la memoire & refouuenance de celuy là que vous auez tant reueré & honoré en fa vie, à fçauoir du bon Pasteur d’Auxerre fainct Germain, veu que vous eftes fi peu refentans de ce qu’il vous a tant recommandé cefte tant digne & faincte vierge Geneuiefue, laquelle vous déliberez maintenant occire & perdre: mais eftes vous fi dénuez de raifon, & desftituez de bon fentiment, que vous ne congnoissez quelque offenfe que vous commetez contre Dieu le createur, de vouloir occire celle là, laquelle il a efleüe & choifie fur toutes les autres, pour eftre fa feruante & ancelle?
Ne vous fouuient il point du tefmoignage que le mefme fainct Germain vous en a donné, quand par cy il paffa pour aller en Angleterre? de la bouche duquel, certes, moy-mefme i’ay tant entendu de bien d’icelle, que ie n’eftime eftre au monde plus excellente femme ny plus agreable à Dieu: Et qu’ainfi ne foit ce que ie vous dy, voicy des Eulogies de benediction, par luy laiffees à icelle qui en feront foy
(Ce mot signifie benedictions ou dons mutuels, lefquels eftans benis par les Euefques se donnoient entre les Chreftiens anciens pour gages de perfaicte charité {Voyez M. René Benoift en la vie de S. Frambault}: comme pains ou tourteaux, & tels que font vn pain beni & vn Agn’Dei.). Ce neantmoins vous la voulez mettre à mort pour fi legere occafion, pour vous deliurer d’vne paour, & d’vn effect enfuyuant la paour, n’eftoit fes prieres, difant qu’elle vous veut trahir, & comme vous deffiant de la grace de Dieu: Quoy? eftimez vous celuy Dieu qui a gardé la ville de Ierusalem d’eftre saccagee Sennacherib Roy des Affyriens {4. Roi 19.}, en faifant mourir en vne nuict cent octante & cinq mille hommes, eftre maintenant de moindre puiffance que pour lors, & qu’il ne puiffe garder cefte ville des ennemis, par les prieres de fes feruiteurs & feruantes, ainsi qu’il feift lors aux prieres de Ezechias, la cité de Ierufalem, & toute la Iudee?
Ne fçauez vous pas comment iadis Ieremie affeuroit ceux qui demeuroient en Ierufalem {Hier. 4.}, menaçant de mort les autres qui fe retiroient au Roy d’Egypte, qui auffi passeroint foubs le glaiue Affyrien, comme il eft advenu? Ceffez, ceffez donc, ie vous prie, de perfecuter celle qui prie inceffamment pour vous, & pour voftre ville: laiffez cefte voftre mefchante entreprife & deliberation & ne permettez que elle vienne à effect: Et croyez ce que la vierge vous promettra, comme chofe toute affeuree & refolue, tant elle peut envers Dieu:

A ces prieres de l’Archediacre, ces confpirateurs pour auoir auffi veu les Eulogies produites par iceluy, cefferent leur entreprife, & changerent de volonté, fi bien que leur faulx conseil fut reprimé, & vn chacun rendu content.
En ce pendant felon la promeffe de la vierge, les Huns pafferent en Italie, fans aucunement approcher de Paris, & furent gaftees les autres villes, lefquelles on eftimait plus feures, ladicte ville efstant gardee par les merites & prieres de la vierge, lefquelles penetrerent iufques au ciel, & furent exaucees de Dieu le createur: Car comme dict le Sage{Prou. 15.}, Noftre Dieu eft loing des mefchans, mais il exauce la priere des gens de bien.

Comment ma Dame faincte Geneuiefue vivoit en grandes abftinences en veilles, prieres, oraisons, & comment elle fit baftir l’Eglife de fainct Denis de l’Eftree.

Chapitre V

OR la glorieuse Dame, à fin que felon la doctrine de fainct Paul {Gala. 5. l’Aut. en fa vie. } elle domtaft, & mortifiaft en fon corps tous vices, & concupifcences, dès l’aage de quinze ans, iusques à cinquante ans, s’exerça tellement en ieufnes, & veilles ordinaires, qu’elle en peut feruir de miroir & d’exemple à tout le reste du monde: Car elle ieufnoit tous les iours de la fepmaine, excepté le Dimanche et le Ieudy, & fi ne mangeoit autre chose en tous temps, sinon du pain d’orge & des féues cuites de deux ou trois fepmaines pour toutes delices: Eftant paruenues à l’aage de cinquante ans, à la fuafion & exhortations des Euefques de ce temps là (aufquels defobeir, elle euft eftimé grande offense) commença à manger du poiffon, & du laict, pour subftanter vn peu fes pauvres membres ia caffez & debilitez de vieilleffe, & des abftinences paffées: encores toutesfois & quantes qu’elle le faifait regardant au ciel fe prenait à plorer, & croit on que comme nous lifons de fainct Eftienne és Actes des Apoftres {Act. 7.}, elle veoit les cieux ouuerts, & Iefus Chrift affis à la dextre du Pere, luy promettant les recompenfes celeftes.
Quant eft du vin & autres liqueurs, qui peuuent enyurer l’homme, iamais elle n’en goufta en sa vie. Or les vertus qui accompagnaient toufiours cefte vierge, eftoient la foy, l’abstinence, patience, grandeur de couraige, fimplicité, innocence, concorde, charité, difcipline, chafteté, verité & prudence: Outre toutes lefquelles vertu, encor auait elle vne trefgrande deuotion enuers monfieur fainct Denis premier Euefque de Paris {L’Aut. en fa vie, Anton., Vincent. histor.}, fainct Rustic & fainct Eleuthere, tellement qu’elle alloit fouuent vifiter les faincts lieux tant où ils auaient enduré martyre l’an de falut 64 {S.Denis endura martyr l’an de falut 64.}. que où ils auoient efté enfepulturez par la faincte et noble dame Catulle, qui eftoit en ce temps là, au village appelé de son nom Catullien {Michael Suigel. La ville S. Denis anciennement nommée Catullium}, qui eft maintenant la ville de fainct Denis: mais voyant que le lieu où gifoient les corps de faincts martyrs eftoient peu honorable, pour ceux qui auoient planté la Foy en France, elle desirait fort leur faire edifier une Eglife, mais les moyens defailloyent.
Parquoy vne fois elle f’adreffa à quelques hommes d’Eglise de là, & leur parla en cefte maniere: Saincts peres, ie voudroye fupplier de me donner faueur & aide en vne chose que i’ay deliberé de faire, laquelle toutesfois n’eft pas à mon pouuoir, faute des moyens, à ce requis, fi ie ne fuis aidee & fecondee de vous: C’est que ie trouve fort eftrange & mal feant, que les faincts amis et Martyrs de Dieu, qui nous ont annoncé les premiers le fainct Euangile en ce pays, gisent fans honneur en lieu fi pauure & fi abiect: Parquoy ie defire, fi le trouuez bon, & me voulez prefter la main, leur faire baftir vne Eglise & Oratoire {Philippe de Bergame liure des femmes illustres.}, & faire honorable le lieu de leur fepulture.
A laquele les Preftres refpondirent qu’ils auoyent auffi grand defir & volonté de ce faire: Mais lefdicts moyens pareillement leur defailloyent, & fur tout la chaux, fans laquelle il leur eftoit impossible de rien entreprendre.
A quoi elle, eftant infpiree d’en haut, Meffieurs, quant à cela, Dieu y pouruoira: Parquoy ie vous prie me faire tant de faueur, que de vous tranfporter iufques fur le pont de la cité, & d’efcouter dilligemment tout ce que diront les paffants, & ne faillez pas de me le rapporter: Ce qu’ils firent tref-volontiers,defirant fçauoir à quelle fin elle faifait cecy,.
Donc ainfi qu’ils eftoient sur ledict pont, attendans & efcoutans ce que on diroit, Voyent deux porchers qui paffent, defquels l’vn difoit à l’autre qu’ainfi qu’ils pourfuiuoit vne truie, il auoit trouué un grand fourneau chaut à l’efcart, & l’autre femblablement difoit, qu’il en auoit trouué vn autre en la foreft prochaine, foubs la racine d’vn grand arbre ietté par terre de la force du vent, auquel perfonne n’auoit encores touché.
Ce qu’entendans lefdicts Preftres furent tout ioyeux, & rendant graces à Dieu, rapporterent les nouuelles à ma dame faincte Geneieufue, laquelle pleurant de ioye de ce qui eftoit aduenu, paffa toute cette nuict en oraifon, pour remercier Dieu, & pour le prier de la vouloir aider au refte.
Le landemain, combien qu’elle fufu attenuée de la veille, toutesfois s’en alla vers Genefie Preftre ( qui eftoit celuy là, lequel entre les autres auoit ledict oeuure le plus en recommandation & affection ) auquel elle fignifia comment on auoit trouué de la chaux en grande foifon & abondance, & affez pour la perfection de l’Eglife, lequel en eftant fort emerueillé, honora grandement la faincte vierge, & luy promift prefter la main de tout son pouuoir, en ce qu’il luy ferait poffible: Car en ce temps là en l’Eglife Gallicane, il y auait vn grand nombre d’excellens personnages en faincteté de vie, Preftres & Euefques & Pafteurs d’Eglife, excitant le peuple Chreftien par bons exemples à faire bonnes oeuures & actions vertueufes: comme nous lifons au Concile celebré en la ville de Tours, le 16. d’Octobre 461. & comme nous dict Paul Aemile {Paul Aemile.}: par le moyen defquels & la bonne exhortation qu’ils firent au peuple, la faincte vierge fift commencer ladicte Eglise enniron l’an 464. comme i’ay trouué dans vn tableau en ladicte Eglife, eftant aagee de quelque trente ans, incitant tousiours vn chacun des citoyens de Paris, luy aider de leurs moyens à parfaire vn fi bon oeuure encommençé.
Or ainfi que les manouuriers & architectes, tant ceux qui coupoyent les bois pour la perection de l’oeuure, que ceux qui besongnoient en ladicte Eglife faifoyent bon deuoir de trauailler, il advint que le vin leur defaillit: Ce que fçachant le bon Perftre Genefie, pria faincte Geneuiefue d’affifter vn peu aufdicts manouuriers, & les conforter tandis qu’il yroit haftiuement à Paris, pour auoir du vin: mais forty qu’il fut, la faincte Dame demanda le vaiffeau où ils auoient accouftumé mettre leur boiffon, & ayant faict retirer vn chacun, fe profterna en terre, priant Dieu auec vne grande humilité, qu’il luy pleuft auoir pitié de ceux qui trauailloyent pour fon feruice: Cela faict, quand elle eut congneu auoir impetré ce qu’elle demandait fe leua, & filft le figne de la croix fus le vaiffeau: Chose admirable! {Miracle}Noftre Seigneur a mué l’eau en vin és nopses en Cana de Galilee{Ioan. 2.}: mais ma Dame faincte Genevuiefue par fes prieres ne mua pas feulement l’eau en vin, ainfi qui plus est, remplit le veiffeau qui eftoit vuide d’vn vin fi bon & fi excellent, que les ouuriers mefme tefmoignoyent iamais n’en auoir beu de i bon: & dauantageledict vin ne diminua aucunement, que le baftiment de ladicte Eglise ne fuft paracheué, combien qu’ils en beuffent autant qu’ils vouloyent.
En quoy la verité de la parole de noftre Dieu fut monftree & declaree {Marc 9.}, quand il dict, qu’à celuy qui croit & qui a la foy, toutes chofes font poffibles, & en vn autre lieu {Iean 17}, Les oeuues que ie fays, celuy qui croit en moy les fera, voire mefme de plus grandes & admirables, ce qui a efté en ceci veu & experimenté.
Or comme elle auoit accouftumé, felon la façon de la primitive Eglife, de veiller la nuict d’entre le Samedy et le Dimanche. Advint vne fois qu’elle eut deuotion d’aller apres le minuict en cefte Eglise de fainct Denis de l’Eftree, mais fur le chemin le cierge qu’on portait deuant elle fut efteint, qui fut caufe que les vierges qui eftoyent en sa compagnie, furent grandement troublees, tant pour l’obscurité de la nuict, qui eftoit fort tenebreuse, que pour la pluye qui cheoit du ciel en grande abondance: mais la faincte Dame le prenant en fa ain, incontinent fut r’allumé {L’original de fa vie efcrit à la main}, & le porta depuis iufques au dict lieu, sans qu’aucunement il peuft eftre efteinct, où il brufla le refte de la nuict, & fut confummé.
Semblablement vne autre fois après auoir fait fon oraifon, profternee en terre, comme la couftume eftoit, siftot qu’elle fut releuee, vn cierge en fa main fut allumé par miracle, lequel n’auuoit iamais efté allumé.{On dict ce cierge eftre gardé encore à noftre Dame de Paris.}
Encore vne autre fois on dict quen fa chambre luy fut allumé vn cierge en fa main miraculeusement, duquel cierge les malades en prenant vn peu par foy & deuotion recevoyent santé, Dieu donnant force à ce cierge, pour l’amour de la vierge, comme anciennement à l’ombre de fainct Pierre {Act. 5.}, laquelle gueriffoit les malades, & aux mouchoirs & accouftrements de fainct Paul {Act. 19.}, lefquels pour l’auoir touché, donnoyent guerifon de toutes maladies.
Et c’est pourquoy nous auons telle foy & efperance que les chofes qui ont touché les reliques de la vierge reçoiuent telle force, qu’eftant receuës auec vne ferme foy & deuotion, pourront adoucir nos douleurs, & nous guarentir de maladies,comme nous voyons tous les iours par experience: Mais tout ainfi que noftre Dieu aide & fauorife ceux qui ont recours à fes fideles seruiteurs & seruantes en leurs necessitez, & qui les reurent et honorent, comme il a faict vne Sareprene, pour auoir receu Elie {3 Rois 17.}, & la veufue, & Naaman le Syrien, poue auoir eu recours à Elisee {4 Rois 4. & 5.}: Auffi tout au contraire, il punit & chaftie ceux qui fe bandent contr’eux, ou leur penffent faire tort & iniure: Comme il a faict Coré, Dathan & Abiron {Nom. 16}, fe bandant contre Moyfe, vn Pharaon en vengeance de son peuple {Exo. 4}, auquel il faifait plufieurs maux, vn Abfalon fe bandant contre David fon pere {2. Rois 18.}, vne Iefabel poursuiuant Elie {4. Rois 9.}, & plusieurs autres: Ce qui efté finalement experimentéen ma Dame faincte Geneuieufue: Car vne certaine femme eftant pouffee du malin efprit, fut fi ofee que de s’attaquer à elle, & par mauuaife volonté, luy defroba fes fouliersz: mais elle ne demeura pas long temps impunie, car auffi toft elle deuint aueugle, qui fut caufe que reuenant à foy, eut repentance de fon malfaict, & s’en vint à la vierge, luy confeffant fa faute, la pria de prier Dieu pour elle, à fin que la veuë luy fuft rendue, laquelle fe fouriant, comme elle eftoit begnine & mifericordieufe, fift tant par fes prieres que bien toft luy rendit la veuë{Miracle}: & par ainfi cette femme obtint pardon par les prieres mefmes de celle laquelle elle auoit offenfee: Comme iadis Abimelech par les prieres d’Abraham {Gen. 20.}: Eliphas, Baldad, & Sophar par les prieres de Iob {Iob 42.}, Dieu voulant bien fouuent eftre requis & prié par ceux là, aufquels l’iniure & extortion a efté faicte.

Comment la noble ville de Paris, ayant efté opprimee de guerre par les François, endura vne extreme famine, ce qui incita ma Dame faincte Geneuiefue à aller querir des viures par bafteau.

Chapitre VI

APres qu’Attila Roy des Huns {Voy les Annal. de Belleforeft.},eut ioué fes tragedies és Gaules, & qu’il eut penetré iusques en Italie, & que Meroüee troifiefme Roy des François, eut rangé les Clodioiftes: Ce Roy vaillant & genereux ne fe contenta d’auoir ia vn pied dans les Gaules, mais voyant que les autres nations f’employent le plus qu’ils pouvoyent, les Bourguignons de la Bourgongne, les Gotz de l’Aquitaine, les Alains, Vuandales, & autres, & que chacun ufurpoit & occupoit quelque chofe fur la domination des Romains, l’empire s’abaftarifant & prenant fin par ce moyen petit à petit, commença auffi à s’y fourrer & auancer de fon cofté, fi bien qu’ayant couru tout le long de la riuire de Loyre, & de la Seine, conquift tout le pays circonvoyfin, & fe mift en fa fubiection, & feit tant qu’il paruint iusques à Paris, duquel fiege ayans efté fort travaillez les Parisiens {L’auth. en fa vie}, decheurent en telle penurie & necefsité de viures, que que plufieurs mouroyent de faim, comme c’est la couftume de la guerre, d’apporter auec tous malheurs.
Or ma Dame faincte Geneuiefue voyant la mifere & calamité de ce pauure peuple, en eut telle pitié & compafsion, que pour luy donner quelque confort ou fecours, fe mift par bateau fur la riuiere de Seine, pour aller pratticquer des viures, pour la necefsité de fes concitoyens, mais eftant paruenue à vn certain lieu de ladicte riuiere, tellement dangereux & difficile, que bien peu fouuent f’y pouuoyent on sauuer, qu’on ne fuft fubmergé, elle commanda aux bateliers de tirer à bord, & mettre le pied à terre, à fin d’abattre vn arbre qui caufoit le peril, à laquelle obeiffans, les Matelots, fe mirent en deuoir de couper cet arbre: mais fur ces entrefaictes, faincte Geneuieufue feit son oraifon à Dieu, & aufsi toft cheut l’arbre par terre, du tout refraciné: D’où fortirent deux monftres horribles à voir, & grands à merueilles, diuerfifiez de couleurs, lefquels laifferent vne telle infection & puanter, que deux heures encore apres l’air en eftoit corrompu, & les hommes infectez: Du depuis les bateaux n’y furent plus enfondrez, mais passoyent fans aucun danger, le diable en eftant dechaffé, lequel, comme il eft à preffuppofer, foubs la figure de tels monftres donnoit tels affaux aux hommes.
Arriuee qu’elle fut à Arcy fur Aube, nongueres loing de Troyes, le Preuoft ou Seigneur du lieu, nommé Pafin, efperant que par la prefence & les prieres de l’amie de Dieu, fa femme, qui gifoit malade de Paralysie, depuis quatre ans entiers, pourroit obtenir guarifon, vint au deuant d’icelle, & comme ce Roytelet, duquel il eft parlé en fainct Iehan 4.chapitre, lequel entendant que noftre Seigneur venoit de Iudee en Galilee, le vint prier de defcendre en fa maifon, pour guarir fon garçon, auffi ceftuy cy auec tous les habitans du lieu, prierent la faincte vierge, auec grande inftance, de venir vifiter fa femme en fon logis, pour luy donner fa benediction.
Ce qu’elle feit, à la supplication d’iceux, & après auoir faict fon oraifon à genoux, comme la couftume eftoit, la munir du figne de la Croix, puis luy commanda, comme iadis noftre Seigneur au Paralytique {Luc 5. & Iehan 5.}, de fe leuer, & marcher: Parquoy comme fi iamais n’euft efté malade {Miracle}, elle qui par l’efpace de qutre ans ne fe pouuoit porter, ny aider de fes membres en aucune façon, fe leuua toute faine, dont vn chacun fut fort efbahy, & rendit graces à Dieu, lequel eft admirable en ces Saincts: De là elle fe partit, pour veuir à Troyes, où eftant arriuee, vint au deuant d’ycelle grande multitude de peuple, lequel eftant adurty des grandes merueilles qu’elle faisait, luy prefenta plufieurs malades de diuerfes maladies, tous lefquels par le signe de la Croix & l’humilité de fon oraifon (laquelle, comme dict le Sage, penetre les Cieux) {Eccl. 35.} elle rendi fains & gays; Entre les autres luy fut prefenté vn homme deuenu aueugle par punition diuine {Autre miracle}, pour ce qu’il befognoit aux Dimanches, & vne ieune fille, laquelle auoit efté douze ans aueugle, lesquels femblablement par l’inuocation de la faincte Trinité, & par le figne de la Croix, elle rendit cler-voyans, fuyuant la promeffe de noftre Dieu, lequel dict {Iean 14.}, Que tout ce que nous luy demanderons en fon nom, qu’il le nous octroyra.
Quelque temps apres vn Soudiacre eftant aduerty de fes miracles qu’elle faifait iournellement {Autre miracle L’original de fa vie efcrit à la main}, luy amena vn fien enfant (car il avait efté marié au precedent) lequel par l’efpace de dix mois auait efté grandement tourmenté d’une ardente fieure, la vierge feit venir de l’eau, & ayant faict le figne de la Croix deffus, la donna au malade à boire, & aufsi toft fut guary.
A fin que ie paffe fous filence, comment en ce temps là mefme plufieurs par foy emportans des franges ou autres parties de fes veftemens, ont efté guaris de diuerfes maladies, & plufieurs demoniacles guarentis: Apres auoir faict fes affaires à Troye {Voy le mefme original}, & qu’elle f’y fut fournie & pourueuë de blez en grande quantité, a fçauoir la charge de onze grands bafteaux s’en retourna à Arcy fur Aube, où ayant demeuré encore quelques iours fe prepara pour f’en retourner à Paris, & fut conduitte par cette bonne dame, qu’elle auoit guarie iusques au bafteau.
Mais quand ils furent en train n’ayant faict encore long chemin fe leua vn tel orage, & telle tempefte fur la riuiere qu’ils furent incontinent poussez entre les arbres & rochers, & tellement agitez quemefme defia l’eau entroit dans les bafteaux en grande abondance, & n’y fçauoyent donner remede que bien toft ne fuffent ruinez & perdus, fi la faincte vierge n’euft eu recours par fes humbles prieres à celuy lequel, fe leuant la tempefte, commenda aux vents & à la mer {Math. 8.}, & fut faitte grande tranquilité, lequel deliura les Apoftres du peril du lac Genefareth, fainct Pierre d’eftre fubmergé {5. Math. 14.}, & fainct Paul du naufrage iusques à la troyfiefme fois {2. Cor. 11.}, auquel elle feift fa requefte, le priant les mains efleues au ciel, que comme il ne l’auait iamais abandonnee en fes neceffitez & angoiffes, il la vouluft fecourir & deliurer de ce prfent danger: de faict vn chacun des affiftans congneut éuidemment que ce n’est point fans cause que le Prophete royal Dauid dict en la personne du iufte {Pfal. 15.}, ie me fuis toufiours propofé le feigneur deuant ma face: Car il eft à dextre de peur que ie ne dechaye: & en vn autre liure {Pf. 144.}, le Seigneur Dieu dit-il, affifte, & fe tient prés de ceux qui l’inuoquent en verité: Car alors fut la riuiere rendue calme tout en vn inftant, & depuis voguerent touiours en feureté iufques à Paris: Dequoy eftant grandement conforté & refiouy vn certain perftre nommé Beffe ensemble tous les autres affiftans defia à demy morts de peur, fe mirent à chanter ce beau cantique d’Exode que firent les enfans d’Ifraël “fuyans” la persecution de Paraon {Exode 15.}, difans Ma force & ma loüange au feigneur qui nous a efté protecteur & garant à noftre falut & conseruation & continuerent à loüer & magnifier Dieu de ce qu’il les auait faufuez par les prieres & merites de la feruante & ancelle: En cette forte triümphans des ondes & des embufches de Sathan (qui eft comme vn Lion rougiffant tantoft deça tantoft delà {I. Cano. chap. 5.} ne chechans autre chofe finon à nous deuorer engloutir, dict monfieur fainct Pierre) la S. vierge paruint à Paris apres quelque temps, là où elle demonftra apertement fa grande charité & mifericorde enuers les pauures {voy l’original.}: Car comme elle diftribuoit le blé pour la pouruiffion des citoyens, & du pain aux vns & aux autres, les pauures qui venoient à elle de toutes pars comme à leur mère nourrice ne s’en alloient iamais efconduits, mais leu bailloit ce qu’il leur eftoit neceffaire, pratiquant ce qui eft efcript par S. Ambroife {I. desoff. Cha. II}, “Heureux celuy de la mayson duquel le pauure n’ft iamais forty les mains vuides”, mefme quelquefoys efmeuë de pitié et condoleance, enuers aucuns tiroit duu pain encore tout chaud du four en cachette pour furuenir à leur neceffité, tellement que les chambrieres qui eftoient en fon fervice, et foubs elle pour ces affaires voyans le nombre de pains au four & cherchant auec foin & sollicitude trouuoyent que la fainte vierge les auoir donnez aux pauures, qui l’en beniffoient pour eftre repus par fes aumofnes.
Au refte cette faincte Dame n’apuioit point fon efperance fur les chofes terriennes, mays fur les celeftes et inuisibles, & fur la parole de celuy, qui ne peut mentir en fes promeffes d’autant qu’elle fçauoit bien ce qui a efté dict en S. Luc de la bouche de noftre feigneur {Luc. II.}, “Donnez l’aumofne & toutes chofes vous font mondes” & ce que dict le Sage {Prouer. 19.}, que celuy qui donne à l’indigent prfte à Dieu à vfure: car il en recevra cent foys autant, & la vie eternelle, laquelle luy ayant efté monftree par efprit & reuelation, toufiours afpiroit d’vn defir ineftimable à celle faincte demeure où font les trefors incomprehenfibles, defquels il eft dict {I. aux Cor. c. 2.}, “Qu’oncques l’oeil ne veit, oncques l’oreille n’entendit, oncques n’entra en la penfee de l’homme ce que noftre Dieu a preparé à ceux qui l’ayment & craignent” & pourtant il nous admonefte difant {5. Lu. 12}, “Preparez vous des trefors au ciel, où la teingne ne defmolit, & les vers ne rongent, les larrons ne defrobent point” mais font eternels & incorruptibles, ce qui eftoient caufe que fans ceffe en priant Dieu elle ploroit & soufpiroit de la grande affection qu’elle auoit d’y paruenir, & sçachant bien qu’elle n’eftoit que voyagere en ce monde, & que nous n’auons point icy de cité permanente, disoit avec fainct Paul {I. aux Cor. 5.}, “ie defire mourir & eftre auec Iefus Chrift”, & en vn autre endroit {Heb. 13.}, “Helas qui me deliura de ce corps mortel”.
Voyla qu’elle eftoit l’affection, & le defit de la vierge {Phil. I.}, à laquelle toutes chofes eftoyent comme fiant {Rom. 7., Phil. 3.}, affin qu’elle iouït de Iefus Christ fon feul efpoux & fa feule efperance.

Comment ma Dame faincte Geneuiefue paffoit le Karefme & de quelques miracles faicts par icelle en la Ville de Paris.

Chapitre VII

CEfte faincte vierge confiderant comment noftre Seigneur apres auoir efté baptizé par sainct Iean Baptifte, s’eftoit retiré au defert pour prier Dieu fon pere en folitude{Mat 4., Marc 1., Luc 4.}, nous monftrant par cela, qu’apres auoir receu la grace du fainct Baptefme, il nous fault exercer en toutes bonnes oeuures & fainctes, elle qui efstoit ftudieufe, fi iamais aucune, de l’imiter en tout & par tout au plus pres qu’il lui eftoit poffible, & qui deuuoit feruir de miroir de faincte vie à plufieurs perfonnes, comme fainct Germain auait predict, affin qu’elle peuft dire auec l’Apoftre faincr Paul {I. Corin. Cha. II.}, “Soyez imitateurs de moy, comme i’ay efté de Iefus Chrift”, elle auait accouftumé felon la façon de fayre des hermites de ce temps là {voy l’or.}, de fe retirer en fa chambre fans fortir, depuis le Dimanche de deuant les Roys iufques au Ieudi abfolut, affin de vacquer feule à Dieu en ieufnes & oraisons: Or vne fois entre les autres, il y eu vne certaine femme laquelle plus curieufe que deuotieufe eut defir de sçauoir, & cognoiftre ce que la faincte Dame en ce temps là faifait en fa retraicte, & pour ce faire s’approcha de l’huis fecrettement pour regarder par quelque fente, mais Dieu confiderant la curiofité de cette femme n’eftre poinct fans quelque certaine malice ou irreuerence, tout ainfi qu’il punit la curiosité des Bethfamites {I. des R. Chap. 6.}, pour auoir regardé dedans l’Arche, aussi punit-il cette femme {L’auth. en fa vie, Antoni. Vincent. hiftor.}, la rendant aueugle pour la presomption & temerité & demeura en cet eftat iufques à la fin de la quarantaine, que la faincte vierge luy rendit la veuë par le figne de la Croix & par fes prieres.
Enuiron ce temps vne antre foys luy furent prefentez à Paris douze demoniacles cruellement vexez & tourmentez des diables {Autre miracle.}, defquels ayant grande compaffion pour l’horreur des tourments qu’elle les voyait fouffrir & endurer, toute fonduë en larmes fe profternant à terre {voi l’o-.}commença à prier Dieu pour eux, qu’il luy pleut les deliurer de telle peine & affliction {Anton Vincent hiftorial}, mais icelle eftant en oraison les diables les bourreloyent fans ceffe encore dauantage, de forte qu’on les voyait efleuez & pendus en l’air, crians & hurlans non fans vn effroyable efpouuentement des affiftans, qui fut caufe qu’elle fe leua & leur commanda d’aller à l’Eglife des saincts Martirs fainct Denis, fainct Rustic & fainct Eleuthere, mais les pauures miferables fentans vne peine indicible, difoint ne leur eftre aucunement possible si elle ne les deliuroit & deflioit prealablement, de quoy eftant efmueuë la vierge, leur commanda qu’ils allaffent là où elle auoit ordonné les mains liees derriere, defendant au refte des diables, de ne les tourmenter durant ce temps, ce qu’ils feirent, & faincte Geneuiefue (laquelle pour la modestie de fon fexe n’alloit pas fi vite) y arriua quelques deux heures apres: Où s’eftant profternee à terre pour faire fon oraifon comme elle auait accouftumé, incontinent commencerent les diables à ietter des cris horribles & hurlemens plus que iamais, difans qu’ls voyaient venir ceux lefquels la vierge auait inuocquez en fon ayde, afçauoir les faincts Martirs fufdits, ayant faict fon oraifon elle les munit tous l’vn apres l’autre du figne de la Croix, & auffi toft furent les diables contrains de fortir, laiffans vne telle puanteur & infection que chacun pouuoit iuger la chose eftre veritable, & fans feintize, & loüerent Dieu d’vn tel miracle, lequel faict la volonté de ceux qui le craignent & exauce leur priere.
Quelque temps apres {Pf. 144. Autre grand miracle.} vne certaine femme laquelle elle auait n’agueres deliuree de la vexation du diable auait vn fils aagé de quatre ans, lequel de cas fortuit tomba dedans vn puits, où il fe noya auant qu’il peuft eftre fecouru {L’Aut. en fa vie, Gregoire de Tours liure de la Gloire des Conf Ch. 91.}, la pauure mere le tira quelque trois heures aprés, & l’apporta aux pieds de faincte Geneuiefue, fe deconfortant fort miferablement, comme celle qui eftoit deftituee du fupport de fa vieilleffe: La bien heureufe Geneuiefue, voyant l’angoyffe de cette pauure mere affligee ne fe peuft tenir de plorer amerement, & ayant tout fon recours à Dieu (lequel feul comme chantait la bonne dame Anne {I. des R. Chap.1.}, nous peut enuoyer la mort, & donner la vie, nous mettre és enfers, & nous en retirer) feit comme le Prophette Helyfee {4. des R. cha. 4.}reffuçitant l’enfant de la veufue fon hofteffe: car elle efchauffa la chair de l’enfant enueloppant le corps mort de fa robbe, & se mit tout soudain en oraison priant à Dieu d’auoir pitié de cette pauure mere defolee.
Chose efmerveillable, elle n’eut fi toft fini fon oraifon, que l’enfant reuint de mort à vie, & rendit l’enfant vif à la mere: Cecy fut faict en Karefme, dont ceft enfant eftant cathecumene & au rang de ceux qu’on inftruifoit à la foy, fut baptizé la veille de Pafques enfuivante, & nommé Cellomer, pour ce qu’il auait efté reffufcité en la cellule de faincte Genevieufue. {Autre miracle, L’aute. en fa vie.}
Il y eu auffi enuiron ce mefme temps vn aduocat de Meaux nommé Frunimie, lequel depuis quatre ans eftoit fourd & boyteux: celuy-cy entendant les miracles que ma Dame faincte Genevieufue faifoit ordinairement, s’envint à Paris pour receuoir guerifon par fes prieres, à laquelle s’eftant prefenté, elle luy toucha les oreilles, & les figna de la Croix, & auffitoft il receut l’ouye, & marcha droict comme auparavant.

Comment ma Dame faincte Geneuiefue eftoit en grand renom & eftime non foulement en France, mais aufsi par tout le monde.

Chapitre VIII

POurfuiuant noftre propos, ce n’eft poinct fans caufe que le fage Salomon en fes Prouuerbes dict {Pro. 31.}, que le prix de la femme vertueufe eft de loing & des dernieres fins de la terre.
Et l’Ecclefiafticque {Ec. 26.}, que la femme faincte eft grace, fa beauté comme vn foleil leuant, & vne lampe refplendiffante fur le chandelier fainct.
Car tel eftoit le bruit & renom de cefte faincte vierge, que non feulement les pauures, mais auffi les Roys, non feulement les Chreftiens, mais aussi les Payens, non feulement les Gaulois & François, mais auffi ceux qui eftoient des pais les plus eflongnez, non feulement les plus gens de bien, mais auffi les pecheurs la reueroient & respecteroient, honoroient fa memoire, & auoyent en admiration pour faincteté & les vertus qui eftoyent en elle: tellement que Childeric mefme quatriefme Roy des François, fils de Merouée, & pere du grand Clouis {L’Autheur en fa vie., Antonin. Vincent. hiftor.}, quoy qu’il ne fut pas Chreftien, mais adonné à la fuperftition des Gentils, toutesfoys portoit vn tel efgard à cette glorieufe amie de Dieu, luy & tous les Princes de fa court {Philippe de Berg.}, pour les miracles qu’elle faifoit au nom de Iefus Chrift, qu’il ne l’efconduifoit iamais de chofe qu’elle luy fçeut demander, de forte qu’vne foys entre les autres ayant defir de fayre mourir quelques criminels, & fçachant bien que fi faincte Geneuiefue la fçauait, elle ne faudroit à pourfuiure leur grace, & fentant qu’il n’auroit le coeur de l’efconduire, affin d’empefcher que la venuë ne le flefchit à misericorde, il feit clore les portes de la ville apres luy, & commanda qu’on defpechait les patiens en hafte hors la ville: Ce qu’ayant entendu la vierge foudain s’en alla apres pour deliurer les pauures patiens: Parquoy eftant venu¨à la porte de la ville, laquelle eftoit fermée, incontinent (comme nous lifons de fainct Pierre és actes des Apoftres {Actes 12.}) elle fut ouuerte sans clef entre fes mains non fans grande admiration du peuple qui là eftoit fi bien que par ce moyen pourfuiuant fon chemin, elle feit tant enuers le Roy qu’elle leur obtint grace & pardon: Ainfi ceux qui eftoyent en peril d’vne mort prefente fe virent deliurez par la benignité de cefte vierge, laquelle contraignoit par fes oeuures les infideles à admirer la vertu qui reluifoit lors en l’Eglife de Dieu.
Mais non seulement ce Roy payen (qui pour fa paillardife auait efté chaffé de fon throfne) honoroit cefte S. vierge, ains encor ceux qui eftoient efloignez és pays eftranges en auoient congnoifsance, foit ou par reuelation diuine, ou que la renommee en efpandit le bruit {L’Aut. en fa vie, Anton. Vincent hiftor.}: Car ce grand perfonnage, & fainct homme Simeon de la colonne disciple de fainct Iean Chrifoftome {Theod. en l’hift. des Peres.}(lequel eftoit ainfi nommé pource que par l’efpace de quarante ans il auoit faict afpre poenitence en vne colonne hors les portes de la ville d’Antioche ainfi que recite Nicephore) voyant fouuent les marchans & pellerins d’Occident {Niceph. 14. chap. 30., 51.}, qui venoyent en la Sirie, les prioit de faluer faincte Geneuiefue de fa part {Eua. liu. 6. ch 22. de l’hi. ec.}, & la prier qu’elle feit memoyre de luy en fes oraisons & deuotes prieres: C’est en quoy on peut veoir quelle grace noftre Dieu faict à fes fideles, puifque quoy qu’efloingnez & separez d’vn grand interualle de lieux, neaumoins viennent à s’entrecngnoiftre par vne certaine reuelation interne qu’il leur en donne comme nous lifons d’un fainct Ambroyfe & fainct Seuerin {Greg. de Tours li. I. desver de fainct Martin.}lefquels ont merité auoir reuelation du trefpas de fainct Martin au diocèfe de Tours, combien qu’efloignez de beaucoup les vns des autres, l’vn eftant à Milan, l’autre à Colongne.
Or quelque temps apres, vne ieune fille de la cité de Bourges, laquelle aprés auoir efté vouée & confacree à Dieu s’eftoit abandonnee vne foys en fa vie, eftant efmeuë des vertus qu’elle entendoit de faincte Geneuiefue, ou de quelque curiofité qu’elle eut de la veoir, s’en vint à Paris pour fe ioindre & communiquer auec elle: fi commença la vierge à l’interroger s’elle eftoit vierge ou non, qui refpondit auoir voüé virginité à Dieu qu’elle auoit gardee des fa ieuneffe fans fouilleure d’homme: mais encor qu’elle eut faict fes affaires fi fecrettement, qu’elle fuft eftimee pour telle des hommes: fi eft ce que faincte Geneuiefue luy dict tout fut l’heure & le temps, & le lieu, & le nom de celuy qui l’auoit violee, de quoy eftant toute confufe & vergongneufe luy confeffa frnchement fon peché, la fuppliant au refte de prier Dieu por elle, & luy obtenir pardon de fon offence.
On pourroit dire & mettre en auant plufieurs fembables exemples, mais il nous fuffira d’en dire vn pour tout, fçachans bien, comme dict le Sage, Que tout ainfi comme ceux qui regardent vne eau claire fe peuuent veoir & mirer dedans: Ainfi les coeurs & confciences des hommes font claires & manifeftes aux prudens, c’est à dire aux faincts, Dieu fauorisant ainfi ceux qui l’ayment, l’honorent & le feruent de tout leur coeur.

De quelques miracles faicts par icelle à Laon & à Meaux.

Chapitre IX

Or non feulement plufieurs, & de diuers endroicts, venoyent à Paris pour veoir cette faincte vierge, fa renommee s’eftendant par tout, & principalement par les villes de la France.
Mais aussi, elle efmeuë de deuotion alloit quelquesfoys vifiter les faincts lieux, comme noftre Dame de Laon, fainct Martin de Tours, fainct Anian d’Orleans, & autres: Où ie ne passeray fous filence les miracles qu’elle a faict en chacune de ces villes.
Et premierement eftant vne fois allee à Laonainfi qu’elle approchoit de cefte ville (qui eftoit du Diocefe de fainct Remy Archeuuefque de Reims, pour lors viuant) vne grande multitude de peuple entendant qu’elle venoit s’en vint au deuant d’elle, s’eftimant bien heureux de veoir & contempler de fes yeux corporels, celle de qui il auoit tant ouy parler & reciter de bien: Entre les autres vindrent les parents d’vne ieune pucelle {Miracle.}, qui par l’efpace de neuf ans auoit efté tellement languiffante de paralyfie que on n’euft sceu iuger & congnoiftre les ioinctures de fes membres, tant elle eftoit perclufe, lesquels auec les plus apparens de la ville la prierent bien fort d’auoir pitié de cette pauure fille: elle qui eftoit debonnaire & pitoyable, vint en la maifon, où apres auoir faict fa priere, comme de couftume, mania les ioinctures de fes membres, puis lui commanda de fe veftir, & fe chauffer elle mefme, ce qu’elle feit, auffi bien & gentiment, comme fi iamais n’euft efté malade, & fut tellement rendu faine, qu’elle s’en vint auec elle & les autres à l’Eglife, pour rendre grace à Dieu le Createur, de fa fanté receuë: lequel miracle ayant veu vn chacun du peuple, commença à loüer & magnifier Dieu, qui donne telle grace aux fiens.
Et qui plus eft aprés qu’elle eut faict fa deuotion, icelle s’en voulant retourner, la reconduict longue efpace de temps en grande allegreffe, chantant & pfalmodiant plufieurs beaux hymnes & cantiques.
De là en auant, lors qu’elle demeurait à Meaux (où elle auait quelques biens & heritages) il y eut vne ieune fille honnefte & de bonne maison, nommee Celine, qui auoit efté promise en mariage à vn ieune homme du pays, laquelle congnoiffant les graces que noftre Seigneur auoit élargies à faincte Geneuiefue, s’en vint par deuers elle, difant qu’elle defiroit viure vierge toute fa vie, & changer fon habit, s’il luy plaifoit la receuoir en fa compagnie: Ce qu’elle luy octroya tres volontiers: Parquoy quand le ieune homme qui la deuoit efpoufer, le fceut, efmeu de l’amour qu’il portoit à fon accordée, incontinent tout bouillant de colere, s’en vint à Meaux, où elles demeuroyent, auec intention de receuoir celle qu’il eftimoit eftre fienne, enfemble de ioüer quelque tour à fancte Geneuiefue: Mais Dieu qui garde ceux qui l’ayment {Pf. 44.}, & ne delaisse le iuste entre les mains du pecheur, ne les abandonna pas {Pf. 36.}, ains tout ainfi que le peuple d’Ifraël fuyant la perfecution de Pharaon {Exo. 14.}, les eaux de la mer rouge le diuiserent par miracle, pour leur donner paffage, & deliurer des mains de leurs ennemis: Ainfi ces deux vierges s’en eftant fuyes à l’Eglise à garant, pour euiter l’ire & le courroux du ieune homme, les portes de l’Eglife qui eftoient fermees, s’ouurirent miraculeusement, & par ce moyen efchapperent: Si bien que par apres ladicte Celinie eftant fortie de l’Egypte, s’eft à dire, fe retirant du monde, feruit toufiours à Dieu, en toute abftinence & chafteté, & apres auoir paffé les deferts de ce monde, eft paruenue à la terre de promifsion, qui eft le royaume celefte: Si bien qu’elle eft auiourd’huy canonizee en l’Eglise de noftre Dieu. {Sa fefte eft le 21. d’Octobre.}
Ce miracle fut bien toft fuiuy d’vn autre, car peu de temps apres ladicte fancte Celinie prefenta à fancte Geneuiefue vne fienne feruante, qui par l’espace de deux ans auoit efté tellement malade, qu’elle ne pouuait aucunement porter fur fes pieds, mais auffi toft que la faincte Dame l’eut touchee & maniee, la rendit incontinent toute faine & guarie.
Là mefme eftoit vn homme qui auoit la main feiche iusques au coude {Autre miracle. Voy l’original.}, fi bien qu’il ne f’en puuait aucunement aider, lequel eftant prefenté à la vierge, elle luy mania les ioinctures des doigts, & feit le figne de la Croix deffus, & au bout d’une demie heure luy rendit toute faine.
Aduint vne autre fois au terroire de Meaux, durant les moiffons, comme la faincte vierge faifoit moiffonner quelque terre qu’elle auoit là, & les ouuriers fuffent defia en train de couper les gerbes, & les entaffer és champs: Il se leua à coup vn grand orage, & tempefte au ciel, qui les menaçoit d’vne groffe pluye, les moiffonneurs faschez au possible, de ce deftourbier, la faincte vierge entra en vne tente voifine du champ, où elle fe profterna en terre, felon fa couftume, & fe mit à prier Dieu.
Chose admirable que fes prieres eurent telle force & puiffance, que de commander à la pluye, comme iadis Helie le Prophete {Rois 17.}, fi bien qu’encores qu’és enuirons tout à l’entour il pleuft abondamment, fi eft-ce qu’il ne tomba vne feule goutte d’eau au champ, où les moiffonneurs recueilloyent fes gerbes, Dieu ne voulant pas que celle qui recueiiloit pour la nourriture des pauures, pluftoft que pour la fienne propre, fuft empefchee en cefte oeuure des iniures du temps.

Comment ma Dame faincte Geneuiefue allant vifiter le fepulchre de fainct Martin, feit plufieurs miracles à Orléans, & à Tours.

Chapitre X

COmme ainfi foit, que ce n’eft point vne chofe fraiche ou nouuelle, mais prattiquee de tout temps, & inueteree dès la primitiue Eglife, & auffi approuuee des Peres anciens, de vifiter les fepulchres des faincts, & les honorer, l’vn de ceux qui eftoit plus en vogue de ce temps là, & auquel on voyait plus de deuotions, pour les miracles frequents & ordinaires, qui f’y faifoyent, eftoit principalement celuy de fainct Martin, auquel mefme Gregoire de Tours recite plufieurs miracles auoir efté faicts de fon temps, au liure de la gloire des Confeffeurs, & en fon hiftoire de France, {Gregor Turo. de la gloire des Confeff. cha. 9. 10. 11., liure 20. de l’hift. Franç. chap. 37. & liure 3. chap. 28.} faict mention comment Clouis & faincte Clothe l’auoyent en reuerence: Dit d’auantage, qu’vn certain grand perfonnage nommé Aredius, rendoit grandes graces à Dieu, & l’eftimoit bien heureux, qu’il auoit vifité & baifé le fepulchre de fainct Martin {Liu. 10. de l’hift. Franç. chap. 29.} auant que mourir, tant eftoit grande la deuotion à ce Confeffeur.
Or ma Dame faincte Geneuiefue, n’eftant pas de moindre pieté que les autres, nonobftant fa vieilleffe, & la diftance des lieux, entreprint cefte faincte peregrination & voyage de Tours, eftant ia fur fon aage, auquel elle feit plufieurs beaux miracles: Car paffant par Orleans (qui est à trente & quatre lieües de Paris, & enuiron à my chemin) elle f’arrefta là, pout vifiter l’Eglife de fainct Anian Euefque de ladicte ville {De cet oratoire vey Gregoire de Tour et Adon.}, qui peu de temps au parauant eftoit decedé, & faifoit plufieurs miracles en ce temps là: Ce que fçafchant une bonne Dame Orleanoyse, nommee Fraterne {Voy l’original de fa vie.}, qui auoit vne fille nommee Claude, tellement malade, que l’on y attendoit plus rien, toute remplie d’efperance, f’en vint la retrouver là, en ladicte Eglise, ainfi qu’elle proit Dieu, & fe ietta à fes pieds, difant: “Helas Geneuiefue, faincte amie de Dieu, ie te prie rends moy ma fille, de laquelle ie n’attens autre chofe finon que la mort en brief temps”: La faincte Vierge la voyant ainfi defconfortee, & auffi considerant la grande foy qui eftoit en elle, luy dict: Va femme, ne te contrifte point dauantage, & aye bonne confiance en Dieu: Car ie te puis affeurer que ta fille eft guarie, & n’a plus aucun mal: Elle toute refoluë, f’en retourne en fa maifon auec vne grande allegreffe, mettant tout efpoir, & f’appuyant fur les paroles de la Vierge, dont ne fut poinct fruftree: Car elle ne fut fi toft arriuee à la porte, que fa fille luy vint au deuant toute faine & guarie: Dont vn chacun commença à loüer Dieu, de ce qui eftoit aduenu.
Quelque temps apres en la mefme ville d’Orleans {Autre miracle}, vn homme eftoit ayant vn feruiteur, lequel luy auoit faict quelque offenfe, & pour cefte caufe luy gardoit vn maltalent, & le vouloit punir aigrement: mais la vierge, comme elle eftoit debonnaire, la pria et requift de vouloir pardonner à fon feruiteur, lequel planté ferme fur fon opiniaftreté, & dedaignant la vierge, luy refusa tout à plat fa demande, & ne voulu l’efcouter, elle pourfuiuant fa requefte: dequoy enaigrie voyant telle pertinacité, luy dict: Sçache, que fi tu me mefprife, & dedaigne, que noftre Seigneur, qui eft clement & pitoyable, & preft à pardonner aux pecheurs, ne m’efconduira pas ce que luy demanderay: Si toft qu’elle eut ce dict, cet homme pensant retourner en sa maifon, fut tellement faifi d’vne chaude fieure, que toute la nuict criant, tempeftant, & efcumant ne fceut aucunement repofer: Le l’endemain de grand matin fe feit conduire à la vierge en tel eftat, au pied de laquelle eftant profterné, la pria de luy pardonner, ensemble auffi de luy obtenir guarifon & allegeance de fon mal: Elle, qui ne refpirait que toute douceur et courtoyfie, le figna de la Croix, & par ce moyen rendit le maiftre fain de corps & d’efprit, & le pauure seruiteur excufé, enuers son maiftre.
Or apres auoir faict fes devotions en la ville d’Orleans, elle pourfuyuit fon voyage commencé vers Tours, fur la riuiere de Loyre, qui ne fut point fans grande difficulté, pour les perils & trauerfes, qu’elle endura fur l’eau: toutesfois enfin par la grace de Dieu elle paruint faine & fauue au lieu pretendu: Où eftant, elle fa mit incontinent en deuoir d’aller vifiter ledit fepulchre du glorieux Euefque fainct Martin, l’vn des patrons reclamez du peuple de France: Mais auffi toft voicy grande multitude d’energumenes, & possedez du diable, qui luy accoururent & vindrent au deuant, par lefquels les efprits malings crioyent à haute voix difant: Que par les merites de fainct Martin & de la vierge, leur peine redoublait, & eftoient grandement tourmentez, & confessoyent encore d’auantage, que c’eftoyent eux qui luy auoyent excité tant de dangers, & de tourmentes fur l’eau, luy eftans contraires du tout, pour empefcher fa venue à Tours, fçachans bien qu’il feroyent dechaffez bien toft de leur poffeffion & demeure.
Ce neantmoins la faincte vierge ne delaiffoit de pourfuyure fon chemin: Parquoy eftant entree en l’Eglife, elle commença à offrir fes prieres à Dieu, & à fainct Martin {Autres miracles}, puis apres deliura plufieurs demoniacles par le figne de la Croix, lefquels crioyent, qu’il fembloit que fes doigts eftoyent chandelles ardentes, qui les brufloit.
Il y eut en outre, trois hommes de qualité, & des plus apparens, lefquels ayans entendu ce que la vierge auait faict, s’en vindrent par deuers elle en l’eglife la prier tref humblement, qu’il luy pleuft de vifiter leurs femmes, qui femblablement eftoyent tourmentees de l’ennemy, & eftoyent gardees en leurs maifons, de peur de fcandale & deshonneur, laquelle efmeuë de compaffion les suyuit, & les ayant oingts d’huile faincte, chacune en fa maifon, les deliura toutes trois de la vexation du diable: Le lendemain que cecy fut faict, voulant affifter aux matines & veilles de fainct Martin, elle fe mit en vn petit coing de l’Eglise, pour prier Dieu plus à fon aife, neftant point veuë, ny apperceuë du monde, faifant ce que Dieu dict en l’Euangile {Matt. 6.}, Que quand nous voulons prier Dieu, il ne nous faut point mettre en lieu pour eftre veus, & apperceus du monde, comme faifoyent les Pharisiens & Hypocrites, plustoft en fecret, à fin que noftre Dieu, qui congnoift tout, & veoit en cachette, nous le rende, & nous en donne recompence: Or ce pendant qu’elle eftoit là en oraifon, aduint qu’vn des Chantres fut faifi du maling efprit {Autre miracle.}, lequel eftant en forcenerie s’arrachant les cheueux, & fe defchirant la face, & les membres, s’en vint droict où eftoit faincte Geneuiefue, laquelle auffi toft coniura le diable, & luy commanda au nom de Iefus Chrift d’iffir hors du corps, au nom duquel tout genou doit flefchir {Phil. 2.}, au ciel, en terre, & és enfers: le malheureux efprit menaçoit de fortir par l’oeil, qui n’euft efté fans offenfer le patient, le rendant aueugle: mais la vierge luy commanda de fortir par bas: ce qu’il feit, car ainsi qu’il alloit à fes affaires, le diable fortit avec vn flux de fang, laiffant vne grande puanteur, & le pauure homme fut deliuré.
Ces miracles furent caufe que les habitans de Tours, par tout où elle alloit, luy faifoyent grands honneurs & reuerences, encore que ce fuft outre fon gré, n’ayant autre chofe plus en grande recommandation {Voy l’original.}, que l’humilité, mere de toutes vertus.

De quelques autres miracles faicts par icelle auant fa mort, eftant de retour à Paris, & comment elle rendit fon glorieux efprit à Dieu, & fut enterree en l’Eglife de fainct Pierre & de s. Paul.

Chapitre XI

NOftre Dieu à tellement fauorifé les fiens de tout temps, qu’il leur a toufiours defcouvert & defmontré les rufes & embufches de Sathan leur aduerfaire, & ennemi capital: Car encor qu’il foit bien cault & fubtil, fi eft ce qu’il les a fait preualoir à l’encontre de fes efforts: C’est ce que nous veult declarer le Pfalmifte royal Dauid {Pf. 90.} quand il dict que celuy qui eft en la fauuegarde & protection du tout puiffaut, il marchera fur l’Afpic & le Bafelic, & foulera aux piedz le Lion & le Dragon, c’est à dire le Diable: Cecy à efté prattiqué fort bien en la vierge faincte Geneuiefue, laquelle f’eft toufiours tellement monftree genereufe & vaillante à l’encontre de cet ennemi, qu’il ne fe peut vanter aucunement auoir eu auantage fur elle, ou fe refioüir de l’auoir efmeüe en aucune façon , qu’au contraire elle a congneu fes tromperies de loing, & par vn mefme moyen les a rembarrez: Ce qu’elle a affez demonftré {L’Aut. en fa vie, V in. hif.} quand vnefoys eftant à la porte de fa maifon veit paffer vne ieune fille portant vn pot d’huille, laquelle elle appela à foy, & l’interrogea qu’eftoit-ce qu’elle portoit, qui feit refponce, que c’eftoit de l’huille qu’elle venoit d’acheter {Beau miracle.}, mais la vierge apperceuant le diable à l’embouchure preft à nuyre à ceux qui f’en feruiraient, fouffla deffus en le meneçant, & auffi toft l’ennemy fe depart caffant celle partie de l’ampoulle où il eftoit: lors faincte Geneuiefue feit le figne de la Croix deffus, & la renuoya, fi bien que le diable n’y eut plus aucune puiffance.
De là en auant luy fut prefenté vn ieune enfant nommé Marouethe {Autre miracle} aueugle, fourd, muet, & boyteux tout ensemble, lequel auffi toft qu’elle eut oingt de l’huille facré, le rendit tout fain, de sorte qu’il commença à veoir, ouir, parler & marcher droit, dont vn chacun rendit graces à Dieu, qui est glorieux & admirable en fes faincts.
Aduint encore vne autre fois {Autre miracle.}, comme elle alloit par bateau sur la riuiere de Seine qu’il s’efleua une telle tempefte & tormente fur l’eau, que prefque le bateau commença à enfondrer: mais la faincte vierge ayant les mains & les yeux efleuez au ciel, fe mift à prier Dieu, & auffi toft tout fut appayfé, fi bien que chacun pouuoit ayfement iuger que c’eftoit vne oeuure de Dieu {Pfal. 19.}, lequel donne & octroye les demandes des coeurs de ceux qui esperent en luy.
Depuis vn certain homme poffedé du diable {Autre miracle}, luy fut vn iour amené, à fin qu’elle allegeaft fon tourment, & le deliuraft de l’ennemy: laquelle, comme la couftume eftoit d’oindre de faincte huile ceux qui luy eftoyent prefentez, pour eftre guariz {Cefte faincte huile n’eftoit pas facrement de l’onction, mais c’eftoit feulement vne huile benifte, et propre à faire des miracles, ce qu’appelle S.Paul gratia fanitatum. I. Cor. 12.}, commanda qu’on luy apportaft le vafe, dans lequel eftoit cefte faincte onction: mais de mauuaife fortune, le vaiffeau eftoit vuide, & qui plus eft, l’Euefque eftoit abfent, pour benir l’huile, qui fut caufe que la faincte vierge fut troublee, & ne fçauoit comment fe gouuerner en cefte affaire, enfin elle fe retourne à Dieu, & fe profternant en terre, le pria de tout fon coeur, d’auoir pitié de cefte pauure creature, & de luy donner moyen de luy furuenir, en le garentiffant des liens de Sathan: fon oraifon ne fut pas fi toft acheuee, que l’empoulle luy fut toute remplie entre fes mains, de faincte huile, par laquelle elle chaffa le diable par apres.
Ainfi par fes prieres elle obtint deux graces, & opera deux grands merueilles, affauoir la guarifon de ce pauure poffedé, & l’eflargiffement de la faincte huile pour l’vfage & profit des Chreftiens en leur neceffité, guariffant les malades de leurs infirmitez, & les rendant fains, par les merites de la vierge.
Celuy qui premier nous a laiffé cefte vie par efcrit {C’eft l’original en fa vie efcrite à la main.}, encores que ne fçachions fon nom, teftifiant ce miracle dict ainfi: “Quant à moy, ie puis dire que dix & huict ans apres le decez de cefte vierge glorieufe, i’ay veu au fond de cefte fiolle, qu’elle auoit remplie par fon oraifon, du refte, encore de cefte facree onction, dont elle guarit ce demoniacle. Ie ne pafferay poinct icy fous filence, comment Clouis, cinquiefme Roy de France, & premier Chreftien, en ce temps là, apres auoir receu la grace du fainct Baptefme, & embraffé la religion Catholique, la reueroit & aimoit fort, tellement qu’en faueur d’elle bien souuent (comme nous auons dict cy deffus de fon pere Childeric) a donné la grace à plufieurs prifonniers & criminels, & pour l’affection qu’il luy portoit, a laiffé libres ceux lesquels autrement il eut faict mourir cruellement: brief, il l’a honoree iufques là, qu’eftant preft d’aller faire la guerre contre Alaric Roy des Gots, qui eftoit Arrien, & occupoit toute l’Aquitaine, à fa requefte & fupplication commanda, & donna charge de baftir, & edifier vne Eglife en l’honneur des Princes des Apoftres fainct Pierre & fainct Paul, laquelle la bonne Dame faincte Clothe, apres la mort de fon mary paracheua, & doüa de plufieurs grandes richeffes, & la feit dedier par S. Remy Archeuefque de Rheims, qui pour lors eftoit en grande eftime par toute la France. Or finalement apres auoir enduré plufieurs trauaux en ce monde, apres auoir faict plufieurs abftinences, portant fa croix, fuyuant Iefus Chrift fon efpoux, apres dis-ie, auoir faict les miracles par nous recitez, & autres infinis, lefquels ne font en memoire, eftant aagee de quatre vingts ans paffez, elle trepaffa en Iefus Chrift, & laiffa cefte vie tranfitoire, caduque, & mortelle, pour ioüir de l’eternelle, heureufe, & immortelle, le troifiefme iour de Ianuier l’an 514. Ordonnant que fon corps fuft enterré en la grotte foubzterraine de ladicte Eglife fainct Pierre, & fainct Paul, baftie par le Roy, au mont appelé pour lors Locutition, maintenant dict de fon nom: c’eft là où il repofe iufques auiourd’huy, attendant la refurrection generale. Or ella vefcu en merites, & grandes vertus, iufques au regne des enfans de Clouis, Theodoric, Childebert, Clothaire, & Clodomir: Ainfi que Aymon Moyne de fainct Germain des prez {Aymon}, qui eftoit du temps des Charlouinges, nous a laiffé par efcript en fon hiftoire de France. C’eft auffi de celle là, que Gregoire de Tours au liure de la gloire des Confeffeurs parle en cefte maniere {Greg. de Tours de la gloire des Confeffeurs. chap 91.}. Là mefme (entendant de Pari) gift en la Bafilique des faincts Apoftres, la glorieufe vierge Geneuiefue, laquelle viuant en ce monde, eut telle puiffance du ciel, de reffufciter vn mort par fa priere, au tombeau de laquelle fouuent ceux, qui f’y addreffent, obtiennent l’effect de leurs requeftes, voire par fa vertu on voit ordinairement s’apaifer les ardeurs & friffons de ceux qui font affligez de la fiéure. Or pouuons nous remarquer en icelle principalement trois chofes, les miracles infinis qu’elle a faicts en fa vie, autant ou plus que pas vn autre fainct {Clittoue au fermon de S.Geneuiefue}, le don de prophetie, & la faincteté & integrité de vie, iusques à la mort. Sera-ce donc fans caufe, ô petit village de Nanterre, païs de vignobles, fi nous te renommons tres heureux, pour nous auoir produit vn si excellent bourgeon, duquel la fleur a efpandu vne foüaiue odeur par toute la terre, vne vigne fi noble, de laquelle le fruict beau & gratieux, le vin doux & amoureux, comme le Nectar, & l’Ambrofie a enyuré & enflambé les coeurs des hommes d’vn perfaict amour, & charité enuers le Createur, par fon exemple? Et toy, ô noble cité de Paris, à bon droit te doit-on prifer, & haut loüer, pour auoir receuë & nourrie vne fleur fi belle & delectable, blanche comme le lis en virginité, vermeille comme la rofe en charité: Et finalement, qui eft celuy, qui ne te cherira & aimera, ô faincte montaigne, ô temple facré, pour auoir en toy vne fi riche bague, vn fi precieux ioyau, furpafsant en vertu & excellence l’Emeraude de Scythie, l’Onix de l’Arabie, l’Achate de Sicile, le Hiacinthe d’Ethiopie, le Saphir de Mede, le Diamant des Indes, le Iafpe, la Marguerite, le Beril, & tous autres qui fe pourrroyent nommer? Veu que c’eft là, au fepulchre de la vierge, où les aueugles ont receu la clarté, les fourds l’ouyë, les muets la parole, les boyteux l’aller, les goutteux, graveleux, paralytiques guarifon, les freneticques l’vfage de raifon, & fur tout les fieureux la priftine fanté: bref, tout malade fupport & confolation de fa mifere & calamité: Et par ainfi s’efbahira-t’on, fi le peuple de Paris, & des païs circonuoyfins honore, cherit, aime, & vifite les faincts lieux où gifent les os & reliques de l’vne des plus accomplies & vertueufes Dames, que iamais la France ait produit, l’Europe ait cognue, la terre ait portee, fi bien que nous pouuons dire d’elle {Eccl. 15.}, ce que l’Ecclefiafticque dict de l’homme fage, & qui craint Dieu, c’eft, que le Seigneur luy donnera vn nom eternel pour heritage, & de rechef {Eccl. 39.}, Sa memoire ne fera iamais tollue, & son nom fera requis à tout iamais: Car c’eft ainfi que noftre Dieu recompenfe fes fideles feruiteurs, apres qu’ils ont faict proffiter le talent à eux commis, & qu’ils ont vaillament combattu contre le diable, & remporté la victoire de la chair, & du monde, il reçoit leur ame en vn repos eternel, & incomprehenfible, laiffant le corps çà bas, pour la confolation des fideles, à fin que honorans le temple & l’organe du faincr Esprit, ils en puiffent retirer vn grand profit et vtilité, à fçauoir, ce qui leur eft neceffaire en ce monde, & en fin la gloire eternelle en l’autre, laquelle nous puiffe eftre donnee par les merites de la glorieufe vierge Geneuiefue, noftre patronne.

Ainfi foit-il.

Commentaires: Au chapitres II et IIII du livre I, il est précisé que d’anciennes coûtumes avaient cours au Vème siècle indiquant que de nouvelles pratiques étaient instituées. Au chapitre VII livre I, il est précisé qu’elle se rendit directement à Arcy sur Aube, qui, petite bourgade à 50 km de Troyes, semble indiquer qu’elle disposait d’un endroit precis pour venir chercher ses provisions de blé. On peut s’interroger pourquoi l’evêque de Troyes n’est pas impliqué. Il apparaît au même chapitre ainsi qu’au IX, que Sainte Geneviève disposait de moyens financiers importants, bien qu’elle n’en usa jamais par les règles de vie qu’elle s’imposait.

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